Chapitre 1

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Cela faisait déjà six mois. Six mois durant lesquels j’avais connu, ou plutôt enduré, tous les sentiments possibles et imaginables. De la tristesse à l’amour passionnel en passant par la détresse et l’espoir. Cela me permettait au moins de me sentir vivant, bien que ce ne fût pas véritablement le cas. En fait, ce n’était absolument pas le cas. Je passais d’échecs en échecs sans trouver remède à mes maux. Mon seul vrai problème à ce moment précis était finalement de ne pas avancer. Evidemment, les journées s’écoulaient comme auparavant mais je ne ressentais absolument aucune once de positivité dans ma propre vie. Je ne ressentais plus l’envie de faire quoi que ce soit de cette même vie qui jouait des tours à son principal protagoniste. C’est à partir de là que je me suis découvert un vrai talent de comédien ! Non, je n’avais pas trouvé ma voie professionnelle, j’ai juste remarqué un jour que je faisais semblant dès lors que je passais le pas de ma porte. Un coup joyeux, un coup curieux ou encore étonné. Je changeais de casquette avec une rapidité et une maîtrise étonnante. On aurait pu croire que j’avais fait cela toute ma vie. Une chose est sûre, je n’étais ni moi ni même un soupçon de moi-même. Il s’avère que cette expérience fût très enrichissante, tant sur le point personnel que sur la découverte d’autrui. En effet, j’eus vite remarqué que les gens qui m’entouraient n’y voyaient que du feu et, au-delà même de mes espérances, que certains d’entre eux me trouvaient « en forme ». Quelle fût ma surprise d’entendre une telle absurdité ! Pourtant, je ne le remarquerais que plus tard mais c’était la première fois que je souriais sincèrement depuis ce qui semblait être le drame de ma vie.

                                      

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C’était un dimanche matin comme les autres. Mon réveil avait sonné la première fois à 9h30, puis une seconde à 9h45 et ainsi de suite jusqu’à 11h. Je n’ai jamais réussi à me lever rapidement le matin, comme ces gens qui se réveillent cinq minutes avant que leur réveil ne sonne, qui sont devant leur café et assis confortablement devant leur table de la salle à manger deux minutes plus tard, qui prenne une douche ( sans oublier de se coiffer, de se brosser les dents et de se nettoyer les oreilles ) en moins de dix minutes. Non, j’étais incapable de ceci. Non pas par fainéantise ou par principe, car beaucoup de gens ont des principes absurdes de ce genre, mais tout simplement parce que mon corps ne répondait pas si rapidement après une nuit de sommeil.  Mes jambes, encore lourdes du peu de temps de repos que je leur accordais tandis qu’elles soutiennent fermement mon mètre quatre-vingt-quinze tout au long de chaque journée, refusaient de reprendre du service. Ma jeunesse n’y changeait rien et puis, dix-huit ans, ce n’étais tout de même pas rien !  Malgré la difficulté, je parvins à me lever à 11h06 précisément. Je savais exactement l’heure à laquelle je sortais de mon canapé-lit tous les jours car j’avais la sale manie d’utiliser mon téléphone comme première activité de la journée. Je passais en revue les messages que j’avais reçu depuis la veille, les appels manqués et les messages vocaux s’il y en avait. Puis je lisais, dans cet ordre très précis, les nouveautés sur l’application dédiée au quotidien sportif L’Equipe, au quotidien d’informations Le Monde et, afin de sourire dès le début de la journée, j’allais comparer ces mêmes informations vues cette fois par la Grande Puissance (économique, politique, culturelle, culinaire) que sont les Etats-Unis via le New-York Times. Afin de ne pas me sentir trop cultivé, je terminais mon pèlerinage intellectuel par un petit détour par Facebook. Je n’ai jamais compris comment un réseau social comme celui-ci pouvait peser plus de 100 milliards de dollars. Je suis pourtant pour le partage d’informations qui est essentiel, mais la moindre des choses seraient de trier ces informations avant de les mettre à disposition de plus d’un milliard de personnes. C’est d’ailleurs ce que j’essayais de faire. Cependant, malgré mon envie, je n’avais pas l’impression de changer les choses… Etait-ce seulement possible ? 

Ce matin-là, je n’eus pas la possibilité de suivre mes habitudes. Au moment où je saisis mon téléphone et que l’écran s’illumina, je compris. Ma mère était morte.

Onze appels manqués s’entassaient sur le petit écran de mon téléphone et tous provenaient de la même personne : mon frère. Ma mère était à l’hôpital depuis quelques temps déjà, souffrant d’un cancer qui avait réussi à changer une femme pétillante de 50 ans seulement en une personne qui aurait pu faire fuir plusieurs dizaines de fans de films d’horreur. Son corps ne semblait plus être le sien. Son trou au milieu de la gorge l’empêchait de s’exprimer et surtout de respirer. Je n’arrivais pas à lui rendre visite régulièrement. Voir la personne la plus chère à mes yeux dans cet état-là était tout bonnement insurmontable pour moi. Le seul fait d’entrer dans cet hôpital lugubre me donnait la nausée, et quand je passais le pas de sa chambre une envie de vomir me prenait. Pourtant, je n’avais pas le droit de le montrer. Ce n’était finalement pas moi qui étais dans cet état, de quel droit me permettais-je d’être triste ? Je me devais d’être souriant et de rendre magnifique son seul et unique bonheur de la journée. Je n’ai jamais vraiment su comment elle percevait ces visites, si elle voyait mon mal-être ou non.

Cette situation m’est vite revenue à l’esprit quand je vis que mon frère avait essayé de m’appeler plusieurs fois. Je compris tout de suite ce qu’il s’était passé. Le fait que mon frère cherche à me joindre de Munich, où il était pour le week-end, ne laissait pas un grand nombre d’alternatives. Mais j’avais besoin d’en être sûr, ou plutôt de l’entendre. Je me levais donc, hésitant et angoissé, afin de respirer avant de l’appeler. J’attendis une seconde, pris mon courage à deux mains et lançais l’appel. Son « Allô ? » me confirma ce que je redoutais. Si lointain, si creux. Olivier lutta contre un sanglot et me le dit. Elle était décédée de son cancer dans la nuit, aux environs de 2h. Cette saloperie avait finalement était plus forte que ma mère. J’étais bouleversé mais cela me semblait si peu réaliste. La femme de ma vie n’avait pas pu me quitter et me laisser seul dans cette jungle qu’est le monde. Je n’y croyais pas, ou bien je me mentais à moi-même. Nous étions le 15 décembre 2013 et mon monde venait de s’écrouler.

Si seulement tu savaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant