Xélor

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« Qu'est-ce que ça fait, de savoir ce qui va se produire avant même que ça n'arrive ? Est-ce insupportable, ou bien jouissif ? Peut-on prendre la décision de tout changer, ou bien de simplement rester allongé sur un matelas à regarder le plafond ? Faut-il courir pour arrêter l'inévitable, lorsque le temps se mélange dans notre tête ? Court-on sur le sable de la plage, les cheveux défaits, alors que l'on sait que l'univers s'écroule, et que bientôt, le monde déjà agonisant va disparaître ?Peut-être vaut-il mieux, en effet, sentir une ultime fois les embruns de la mer, et s'unir une dernière fois à la chair d'une autre personne. Lorsque tout doit se terminer dans les cendres, le sang et les larmes, il faut courir plus vite que jamais, et éteindre le feu qui enflammera les poudres. Courir à en perdre haleine, courir et hurler jusqu'à ce que notre être ne soit plus qu'une boule infernale.

      C'est si facile de fermer les yeux, et d'ignorer le temps des différentes vies qui se mélangent dans notre être. C'est moins évident de venir en aide aux autres. Agir pour stopper la machine est tellement simple. Mais un souci éthique s'impose ; ce que nous montre le temps n'est-il pas voué à se produire ? Les morts ne doivent-ils pas quitter cette vie ? Les vivants ne doivent-ils pas pleurer leurs disparus ?

      Mais non, c'était différent. Tous ces morts, toutes ces larmes, toute cette douleur, et ce drame, tout aurait pu être évité, il suffisait de tout arrêter.

      Un simple claquement de doigt suffisait, et les Hommes, et la pluie, et la guerre se suspendaient. Le sang aurait cessé de couler goutte-à-goutte sur la terre humide. Ce n'était pas bien compliqué, il fallait tout arrêter, tout geler, tout pétrifier, et tout sauver. Parce qu'il ne s'agissait plus d'avoir le temps qui se mélangeait dans sa tête, mais d'avoir le contrôle sur lui, de le plier à sa volonté, ses envies. Un claquement de doigts.

      Et toi, qu'as-tu fais ? Tu es restée là sans rien dire, et tu les as regardés mourir. Le monde s'est changé en poussière, et toi ! Oh, toi, comme il t'a été facile de fermer les yeux, d'ignorer ces souffrances, de ne pas changer le court des évènements. Était-ce donc si dur, de simplement user de ta magie ? Tu n'avais qu'à remonter le temps, qu'à les graver dans la glace, mais tu n'as rien fait. Tu n'as pas agi. Parce qu'à tes yeux, seule ta survie importait. Laisse-moi donc te dire une chose. Rien n'a plus de valeur que mon être, et je ne me sacrifierai pas pour toi. Je ne me damnerai pas. Je ne provoquerai pas le Dieu du Temps pour la grâce d'une existence aussi miséreuse que la tienne. Tu ne les as pas sauvés, car ils ne représentaient rien d'autre que de minuscules insectes à tes yeux. Crois-tu sincèrement qu'il en va autrement pour moi? Que nenni.»

« Non, non, c'est faux, je ne pouvais pas..! Rien ne les aurait sauvés, tout n'était que misère et désespoir, je n'aurais jamais pu les sauver ! Que me restait-il à faire ? Aurais-je dû rester à les regarder mourir ? Comme c'est cruel, injuste, si injuste ! Pitié ne me laissez pas, ne me laissez pas ici, je vous en prie. J'ai peur, peur du noir, pitié ! Pitié, pitié, pitié... »

      C'était inutile. Dans cette étendue sombre où la reine noirceur n'était troublée que par l'eau ténébreuse qui tapissait le sol, une masse misérable et recroquevillée gémissait, de chaudes larmes venant s'écraser sur l'eau gelée. Dans cette dimension froide et morne où le temps n'avait pas court, ses supplications ne s'arrêtèrent pas. Mais il était trop tard. Son interlocuteur ne reviendrait jamais. 

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⏰ Dernière mise à jour : Oct 30, 2020 ⏰

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