Dans la peau de l'autre

Rentrez chez vous !

7e arrondissement de Paris.

Un mardi après-midi, le soleil brille fortement et envoie ses rayons brûlants sur les humains. Dans les rues de cette banlieue parisienne, la circulation n'est pas très dense : seuls quelques passants et de belles allemandes y circulent. Vivent ici uniquement des gens avec un haut niveau de vie. Hélène Lambert a sa télévision allumée, comme le reste de son voisinage, elle est très riche. En effet, en tant que PDG d'une firme multinationale spécialisée dans l'exploitation pétrolière, elle touche un sacré pactole chaque fin du mois et le luxueux appartement qu'elle s'est offerte témoigne à lui seul de son opulence. Mère célibataire, ses enfants Gustave et Alice sont inscrits dans les meilleures écoles de Paris. Il va s'en dire que leur avenir à eux deux est déjà tracé.

Hélène est ce genre de femmes qui n'a pas spécialement besoin d'hommes dans sa vie. Elle sort d'une union d'une dizaine d'années qui s'est conclue par un divorce, les deux ne trouvant plus leur plaisir ensemble. Pourtant, elle a encore l'opportunité de se remarier. En effet, malgré ses 42 ans, Hélène n'a aucune ride qui soulignent ses traits, des sourcils fins légèrement tracés au crayon, des yeux couleur noisette et un regard suffisamment perçant pour intimider n'importe quel homme, son nez retroussé, sa bouche munie de fines lèvres roses et son visage allongé apportent au tout une uniformité et un charme qui ne laissent personne indifférent dans son entourage. Mais elle n'a pas ou très peu de temps pour se poser et rencontrer l'amour à cause de ses lourdes charges de travail.

La femme, les yeux rivés sur son ordinateur, semble travailler sur un important dossier. L'index plié sur ses lèvres et le pouce sous son menton, elle a les sourcils serrés et réfléchit. Dans un geste souple, elle se saisit de la tasse de café proche d'elle, la ramène délicatement sur ses lèvres et en avale le contenu.

_ Nos actions connaissent une croissance exponentielle ces derniers mois, parfait ! Se dit-elle fièrement en déposant la tasse de café sur son bureau en bois de chêne recouvert d'un épais verni blanc et lisse. D'ici quelques années, je n'aurai plus à travailler comme une furie et pourrait enfin me reposer et profiter paisiblement de ma retraite.

À côté de son bras gauche, un magazine Forbes dont elle faisait encore ce trimestre la couverture et sur laquelle était marquée : la femme la plus riche d'Europe, Hélène Lambert, une source d'inspiration pour la gente féminine.

Un flash info passe sur la chaîne TV5 Monde et la coupe de ses pensées. Hélène détache ses yeux du MacBook afin de se concentrer sur le fait divers. Le présentateur s'emballe :

" Aujourd'hui dans le 93, une nouvelle scène d'horreur. Un adolescent d'origine malienne a été emmené d'urgence au centre hospitalier intercommunal d'Aulnay-sous-Bois. D'après nos sources, il se serait fait agressé par deux policiers en patrouille dans la zone. Ces derniers lui ont demandé de montrer ses papiers mais celui-ci aurait répondu qu'il semblait les avoir oublier chez lui en sortant pour faire ses courses. Ce qui selon les témoins, a poussé les policiers à l'arrêter. Or l'adolescent s'est débattu et les officiers, agacés, se sont mis à le rouer de coups avant de s'en aller, l'abandonnant sur le trottoir. La victime a eu après l'interpélation, la clavicule cassée, quatre côtes fracturées et le visage complètement défiguré, comme vous pouvez le voir sur ces images, son état reflète la violence de cette altercation. On ignore toujours l'identité des deux policiers concernés. La famille de la victime a porté plainte et demande justice à l'Elysée. Le ministre de l'intérieur ne s'est toujours pas proclamé sur le récent incident. C'est le énième cas du genre depuis l'agression d'Aboubacar Levy, un Sénégalais de 24 ans, faussement accusé d'harcèlement par une lilloise. La police venue sur les lieux après l'appel de la demoiselle s'était immédiatement jetée sur l'homme sans demander d'explications de sa part; plaqué au sol, celui-ci mourut asphyxié des suites d'une prise de soumission exécutée par les forces de l'ordre qui faisaient pression sur son thorax. Les coupables avaient été arrêtés puis relaxés par la justice. Les manifestations après sa mort furent très violentes. Nous craignons que cela se reproduise."