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Plus nous nous approchons du port, et puis la panique m'envahit. En mer, nous avions un avantage de taille en la personne des sirènes. Mais que faire si cela se passe mal sur cette terre méconnue ? Est-ce que le peuple aquatique pourra exiger quoi que ce soit ?

Une ribambelle de questions me traverse l'esprit sur cet hypothétique danger qui prend différentes formes au gré des minutes. Je sais que je me fais sûrement du mouron pour rien, mais je préfère être prudente et préparer mon esprit à toutes les possibilités. À celles que j'arrive à imaginer du moins, car ce monde regorge de mystères et de monstres dont j'ignore encore l'existence.

— Ça va nous faire du bien de retrouver un peu la terre ferme, me chuchote Hilanne à l'oreille. J'ai beau avoir le pied marin, il fait bon, de temps à autre, de quitter son navire.

— J'espère que nous le retrouverons assez vite...

Hilanne me jette un regard et je m'empresse de lui expliquer mes propos.

— Les îles Toruva ne sont qu'une escale. D'après ce que Merlin savait, il y a plusieurs siècles, aucun enchanteur n'y résidait. Ils sont surtout sur le continent. Et, bien évidemment, c'est plutôt sur les terres intérieures qu'extérieures. On a encore beaucoup de semaines, de mois de voyage avant de les trouver eux et tout ce dont j'ai besoin. J'espère que ça ne se transformera pas en plusieurs années. Je ne veux pas faire endurer ça à ma mère. Si seulement j'avais possibilité de lui parler régulièrement, ce serait beaucoup plus...

Je dois m'arrêter involontairement : je manque de souffle. Il faut que je pense à respirer. Dieu seul sait à quel point c'est important.

— Je vais me montrer polie, Hilanne, mais je vous jure qu'au moindre soupçon de danger, je ne donne pas chair de la peau de ces princesses.

— Évitez de répéter ça lorsqu'on y sera. Je ne suis pas sûr que ça soit très prudent d'énoncer de telles menaces, dit-il avec un petit sourire amusé. Tout se passera bien, j'en suis certain. Nous allons manger, nous reposer, profiter de ce premier jour dans les terres inconnues. Nous avons grandement besoin de reprendre des forces.

Manger. Je ne pense qu'à ça depuis plusieurs jours. La nourriture était de plus en plus rationnée et se limitait à un ou deux mets bien étranges et aux goûts presque inexistants. Quant à l'eau... Je ne préfère même pas en parler. Mon esprit est en train de s'imaginer une grande carafe de jus d'orange et un buffet rempli à ras bord de pizzas et de mousse au chocolat... À bien y réfléchir, je ne suis pas certaine que ça existe ici, en tout cas pour le premier. Mais j'ai déjà mangé du chocolat au château de Camelot.

— Oh mon dieu, soupiré-je avec une douleur au ventre. Maintenant que vous avez parlé de manger, je suis affamée. Je pourrais manger deux fois mon poids.

— Espérons que la demeure des princesses ne soit pas trop loin. Nous pourrons descendre dans quelques minutes à peine.

Je reste à l'avant du bateau tandis qu'Hilanne s'éloigne légèrement et se met à crier des ordres à ses hommes. Il m'a l'air plutôt confiant, alors que moi j'appréhende énormément ces prochaines heures. Retrouver la terre me fait plaisir, mais pas autant qu'aux garçons. J'ai encore la gorge serrée en pensant à ce qui m'est arrivé. Sur Terre, on m'aurait immédiatement emmenée à l'hôpital et j'aurais peut-être dû y rester plusieurs jours. Mais là, je vais bien, je pète le feu. Une partie de moi trouve ça étrange. La partie qui n'est toujours pas habituée à tout ça. Qu'est-ce qu'elle est bien bête... Je me demande quand disparaîtra-t-elle définitivement ? Est-ce que cela arrivera un jour d'ailleurs ? Ou mon esprit aura toujours ce côté de terrienne qui est fermé à l'inconnu et à l'inexplicable ? Qui croira toujours que le rêve est la meilleure des explications à tout ce qui se passe ?

Faëra ▬ Tome ✯✯✯ © (Sur les Traces de la Magie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant