Appelons ça le progrès

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Un homme se leva de l'Assemblée Représentative. Toutes les têtes se tournèrent vers lui. Son visage marqué par les décennies témoignait de sa sagesse. Il raconta avec beaucoup de passion son histoire :

« Aujourd'hui, je suis monté au sommet de la Montagne. Ainsi bénie soit-elle. Une terrasse s'offrait à moi. J'y installai alors le trépied de ma lunette. En observant longuement l'horizon dans le dioptre, j'ai constaté une légère courbe. Traitresse était-elle... car, oui mes amis ; Dieu, Notre Père, m'a porté conseil. Notre terre est belle et bien plate comme dit dans les écrits. Je me suis alors mis à genoux devant Dieu et ai posé mes lèvres dans la poussière. Je le remerciai ainsi pour ses paroles avisées qui contribuent, à la lumière de sa connaissance, à l'épanouissement de notre savoir. »

Le vieil homme termina son histoire en inclinant légèrement la tête, paupières baissées. Aussitôt, l'Assemblée proféra en chœur : « Béni soit-il ! »

Le président de l'Assemblée, en contrebas des tribunes, dit à son tour :

-Merci pour ton témoignage, cher Comparse. Dieu te bénit pour ta sagesse.

Comparse inclina à nouveau légèrement le buste, main sur le cœur, pour remercier le président.

Un autre représentant se leva à son tour. Celui-ci portait un uniforme et des décorations. Il avait un visage aux traits militaires. Les citoyens l'écoutèrent à son tour.

« Le mois passé, nos armées ont vaincu la dernière résistance barbare. Ces sauvages honoraient des dieux païens et avaient autrefois profané nos lieux de culte... C'était sans compter la punition que Dieu leur réservait. Forts de leur foi, nos soldats ont marché sur l'ennemi sans crainte ni honte. Les épées et les haches de ces barbares se fracassaient sur les boucliers de la sainteté, avant que nos lances ne leur accordent le coup de grâce. Les infidèles ont été évincés par la bénédiction du Tout-Puissant. Nos armées contrôlent désormais ces terres. C'est la volonté de Dieu ! Et je le remercie de toute mon âme. »

Tout comme le précédent orateur, le militaire inclina la tête. Aussitôt, l'Assemblée dit en cœur : « Béni soit-il ! »

Le président de l'Assemblée attendit que le calme revienne et dit à son tour :

-Merci pour ton témoignage, cher Soudard. Dieu te bénit pour ta vaillance.

Soudard salua en retour le président de l'Assemblée.

Les applaudissements s'estompaient à peine qu'un homme se leva. Son crâne était luisant. Il égrenait un chapelet. Le silence se fit pour écouter le saint homme.

« Aujourd'hui, notre communauté a sauvé une âme en détresse et j'en remercie le Seigneur. Il s'agit de l'herboriste vivant au bord de la rivière pourpre. De nombreuses personnes ont guéri mystérieusement grâce à cette brave femme. Parfois, même, de maladies incurables ou mortelles. Nous nous sommes alors posés les bonnes questions. Accuser un être de sorcellerie est lourd de conséquences. Mais comment expliquer toutes ces guérisons extraordinaires ? Comment expliquer la couleur de l'eau de la rivière ? Comment expliquer la mort de toute la faune aquatique aux abords de sa masure ? C'est le cœur lourd que, accompagné des gardes, je me suis rendu à sa demeure pour la sauver. En tant que bon serviteur de Dieu Notre Père, j'avais pour devoir de laver cette âme noire de tous ses péchés. Je l'ai alors questionnée. Son esprit en détresse ne cessait de raconter sottises et incohérences. Elle était pourtant entre de bonnes mains. Mais... ! Mes chers amis, la sorcière a fini par entendre raison ! La voix de Dieu a raisonné dans sa tête. Elle a avoué, mes chers confrères. Elle a avoué après des heures de labeur qui ont essoufflé ma personne. J'ai alors pardonné à cette pauvre âme, puisse-t-elle avoir rejoint les cieux auprès de son Maître, et ai brûlé son corps. Ainsi, le bûché aura purifié son enveloppe corporelle. Je remercie le Seigneur Tout-Puissant de m'avoir procuré la volonté et la force mentale d'accomplir une tâche aussi blessante pour mon âme. Grâce à Dieu et à ses humbles serviteurs, une âme en détresse a été sauvée et a pu rejoindre les siens. Dieu, si tu m'écoutes ; je te suis redevable à vie. Merci à toi ! »

Appelons ça le progrèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant