Je boucle mon sac. Le duvet est maintenu sur le dessus par deux sangles rose bonbon décorées de dessins de lapins crétins en pyjamas jaunes, armés jusqu'aux dents de tubes de dentifrices à la fraise. Un reste de la dernière visite de ma nièce.
Je suis prête pour le départ.
Trois mois.
Trois mois, seule, sur les chemins de France.
Pour réfléchir.
Loin de mon chef Bertrand. Loin de ma collègue Anna, si parfaite. Loin de ce Lyon grisâtre que je ne supporte plus.
Et surtout, loin, loin, très loin de Sebastien, ce crétin de petit ami. Cet idiot à conjuguer au passé, ce Stephen King de l'amour. Le bourreau de mon cœur flétri et rabougri qui ne fonctionne plus que par devoir. Même si notre histoire fut courte et catastrophique, je ne me remets pas de ce chagrin d'amour et je sens qu'il est temps de changer d'air, de respirer un oxygène qui ne soit plus pollué par sa présence.
Je lève la tête et me regarde dans la glace. Moi et mes traits tirés, sans fard. Il n'est plus l'heure de tricher. Je ne comprends toujours pas ce qui m'a pris de m'enticher d'un garçon aussi complexe et tordu mais je suis certaine d'une chose : la fuite est ma seule option pour tenter de survivre dans ce nouvel enfer solitaire. Les hommes, c'est fini. Cette fois, on ne m'y reprendra plus.
Sur le bord de ma table de nuit, j'aperçois ce roman si drôle que je viens de terminer et qui se passe sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle. C'est lui qui m'a définitivement convaincue de prendre le départ. L'auteure semblait transformée à son arrivée à Santiago de Compostela ; je vais m'accorder le même voyage initiatique. Ce temps de réflexion me fera, à moi aussi le plus grand bien. A moi, la retraite paisible, les fleurs qui sentent bon et les moustiques tigres assoiffés de sang frais.
— T'as pris de la crème solaire ? me hurle ma mère depuis la salle de bain.
— Nan. Je n'en ai pas. Celle que j'avais était périmée depuis deux ans, je l'ai jetée.
— Ben, Alice, ce n'est pas raisonnable, en randonnée la première chose à faire c'est de se tartiner de crème solaire. Tu devrais le savoir à ton âge.
— J'en achèterai un tube à la gare ...
— Et des chaussettes ? T'en as assez des paires de chaussettes ? Une bonne hygiène de pieds en randonnée, c'est un peu le minimum non ?
— Oui maman ! J'en ai assez des chaussettes et tu sais quoi .... J'ai aussi pris des petites culottes, en nombre. J'ai prévu de changer de culotte aussi ! Ça te rassure ?
Ma mère est insupportable, indiscrète et bien trop prévenante à mon goût.
En plus, qu'est-ce qu'elle y connait en randonnée ? A moins que le trajet Boulangerie – Boucher – Supermarché soit considéré comme le must des chemins de Grande Randonnée, elle est aussi novice que moi en la matière.
Comme si je n'étais toujours pas capable de gérer et boucler le contenu d'un simple sac à dos. On se croirait la veille de mon dernier départ en classe de neige quand elle cochait la liste des fournitures en me faisant recompter cinq fois la quantité de pulls et douze fois les tee-shirts, sans parler des culottes et des chaussettes justement.
Il est temps que je parte loin avant qu'elle ne rajoute un plat de lasagnes à la bolognaise dans le fond du sac pour être certaine que je ne meure pas de faim. Ou pire une douzaine de Pom'pots et des BN pour le goûter qui garantissent une honte majeure à leur sortie du sac. A mon âge canonique et le bac en poche depuis une bonne dizaine d'années, il m'est toujours impossible de sortir de l'assistanat maternel poussé. Est-ce que c'est moi qui n'aie pas su décrocher de ses basques ou est-ce que c'est elle qui ne s'est pas vue vieillir ? Je n'ai pas la réponse mais en réfléchissant je me dis que c'est certainement de ma faute. Pas assez autoritaire pour l'écarter.
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Le mystère de la chaussette jaune
HumorAlice est une jeune femme tout à fait banale. Elle est maladroite, elle a un petit ami qui vient de la larguer comme une vieille chaussette et sa propre mère ne l'a jamais prise au sérieux. Devant ces constats d'échec et à l'aube des grandes vacance...