Chapitre 2

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Un marteau-piqueur lui broie le crâne lorsque Luc ouvre les yeux sur un environnement flou. Sur son séant, il constate que l'endroit où il émerge lui est totalement inconnu. Il découvre une chambre spacieuse, bien rangée dont l'ameublement est minimaliste et aux tons offrant une déclinaison de beige et de taupe. Il sursaute en reconnaissant Léo qui l'observe depuis la porte :

— Léo ? Qu'est-ce que tu fais ici ?

— Sachant que tu es chez moi, tu devrais plutôt de te demander ce que, toi, tu fais ici...

— Je suis chez toi ? Comment je peux être chez toi ?

— Tu ne te souviens pas de ta soirée ?

Luc farfouille sa mémoire, se rappelant un dîner avec des clients potentiels puis d'être embarqué par eux dans un bar qu'il connaissait de nom, sans jamais oser y aller. Il se souvient que les clients voulaient s'y rendre pour « rigoler » disaient-ils, ce qui lui avait fait grincer les dents. La suite est beaucoup moins nette.

— On peut savoir ce que tu faisais dans ce genre endroit ? T'es au courant que c'est une boite gay n'est-ce pas ? L'interroge Léo dont la curiosité a atteint le niveau maximum.

Luc que la question embarrasse, essaie de faire le tri entre ce qu'il peut lui révéler ou non, car oui il est parfaitement au courant du genre de clientèle de la boite en question, puis réalise que s'il y était, Léo aussi :

— Ben et toi alors ? Tu faisais quoi là-bas ?

— J'ai posé la question en premier...

— J'ai bêtement suivi des clients. En réalité, je ne tiens pas du tout l'alcool. Ils ont dû verser quelque chose dans mon verre. Je me souviens d'avoir eu soif, de le vider d'un coup avant de sentir l'alcool... Après honnêtement, je ne suis pas sûr de ce qui s'est passé, je ne me rappelle que de bribes d'images... Tu m'as aidé n'est-ce pas ? Et tu m'as ramené en taxi, je crois... Merci de ne pas m'avoir laissé seul... Après mon comportement avec toi, tu aurais pu faire semblant de ne pas me voir...

La mine de chien battu qu'affiche Luc à cet instant ravie Léo, pas par sentiment de vengeance exaucée mais parce qu'il le trouve terriblement craquant. Il s'approche de lui et se penche suffisamment près de son visage pour sentir le souffle de Luc, saccadé par la surprise, sur ses lèvres :

— Je n'allais quand même pas laisser deux brutes s'accaparer ce que je convoite en silence depuis trois ans... Et pour répondre à ta question, si j'étais dans cet endroit c'est pour la bonne raison que je suis gay. Te voilà prévenu... Le petit déjeuner est prêt, suis-moi dans la cuisine, ajoute Léo content du trouble qu'il vient de semer chez Luc.

Ce dernier le regarde quitter la chambre bouche bée. En se levant du lit, il réalise qu'il est vêtu d'un bas de pyjama et d'un T-shirt trop serré, ses vêtements ayant disparu, boxer compris. La voix de Léo lui parvient de l'autre côté de la pièce :

— Au fait, tes vêtements sont dans le sèche-linge, tu pourras les récupérer après le petit-déjeuner ! Ha et, t'es encore mieux gaulé que je ne le pensais !

— Ravi que ça t'ait plu, crétin, marmonne Luc qui ne dispose pas d'assez d'énergie pour lui balancer une réponse cinglante.

Léo lui avait préparé un verre d'eau avec des aspirines, un jus d'orange, une tasse de café, une salade de fruit et du pain grillé avec beurre et confiture. Il voulait se contenter d'avaler une tasse de café et s'éclipser rapidement, mais la vue de la table garnie lui donne faim. Alors qu'ils sont assis face à face, Luc ne sait que dire et les paroles de Léo tournent en boucle dans sa tête : qu'est-ce qu'il sous-entendait en disant qu'il le « convoite en silence depuis trois ans ». Se sentant moins nauséeux, il accepte une seconde tasse de café réfléchissant encore à cette phrase et à la révélation de l'homosexualité de Léo. Un instant, il se dit qu'il pourrait utiliser cette information à son avantage. Puis il songe qu'au lieu d'avoir dormi en toute sécurité, sa nuit aurait pu être cauchemardesque sans son intervention. Il se sent peu fier que l'idée lui ait traversé l'esprit surtout en considérant les trois années qu'il s'était employé à lui pourrir la vie tandis que lui... Lui, quoi d'ailleurs ? Quels sont les sentiments de Léo pour lui exactement ? Il se gratte machinalement la tempe plongé dans ses réflexions.

— Allez, lâche le morceau, tu cogites depuis tout à l'heure et y a un truc qui te tracasse, je le sais, indique Léo le sortant de ses pensées.

— Comment tu sais qu'un truc me tracasse ? S'enquiert Luc.

— Quand c'est le cas, tu te grattes la tempe, répond aussitôt Léo.

— Comment tu sais ça ?

— Ça fait trois ans que je t'observe, je te rappelle, alors des détails sur toi, j'en connais un rayon. Tu n'aimes pas la fumée de cigarette, qu'on te touche, la couleur rouge, le désordre, les légumes verts, les endroits sombres et exigus, les araignées, le fait qu'on octroie ta réussite principalement en raison de ton physique, c'est pour ça que tu bosses encore plus que n'importe qui pour prouver ta valeur. Tu aimes les jours de pluie, les stylos à pointe fine, tu préfères les plats mijotés aux grillades, la couleur bleu cobalt, tu t'émerveilles à la vue d'un papillon qui virevolte en ville et depuis cette nuit, je sais que tu as un charmant point de beauté sur la hanche gauche...

Luc le dévisage ne sachant s'il doit se sentir flatté d'avoir été l'objet d'une telle attention ou, au contraire, s'il doit s'inquiéter sérieusement de cette même attention à son égard.

Le bip du sèche-linge annonçant la fin de son cycle, rompe leur échange de regards silencieux.

Prétextant des courses urgentes à faire, Luc se change, remercie Léo pour son aide et quitte son appartement. Une fois dans la rue, il ne peut tempérer son cœur qui lui tambourine la poitrine : Léo l'a déstabilisé. Heureusement, il n'a pas découvert le plus important. Son secret est encore indemne...

****

En attendant l'ascenseur lundi matin, il se demande encore comment se comporter avec Léo. Faire comme si de rien n'était ? Etre plus cordial avec lui ? L'ignorer tout simplement ? Lorsque les portes s'ouvrent, l'attroupement qui patientait s'engouffre dans l'ascenseur, le bouscule et l'entraine dans son mouvement. Les endroits confinés qui ne lui laisse que peu de place pour se tourner le mettent mal à l'aise. Ce n'est pas qu'il soit claustrophobe, seulement la promiscuité et le manque d'espace lui donne une sensation d'étouffement. Il rouvre les yeux en sentant un tapotement sur son épaule. Léo se tient à côté de lui :

— Salut ! Tu as passé un bon week-end ? L'interroge innocemment Léo.

— Très bon, merci. Répond sèchement Luc ne s'attendant pas à le croiser aussi rapidement.

— Vraiment ? Me voilà rassuré, j'avais peur que tu te morfondes tout le week-end après ce qu'il s'est passé entre nous.

Quelques têtes se tournent vers eux, intriguées par l'échange anormalement cordial entre les 2L :

— Il ne s'est rien passé entre nous et est-ce que tu peux parler moins fort, les autres non pas besoin de suivre notre conversation, articule Luc entre ses dents.

— Ha, le déni, c'est donc l'option que tu envisages... Hummm, ça ne va pas être possible. Désolé, j'ai enfin une fenêtre d'action qui s'offre à moi, alors je ne compte plus en rester là. Va falloir t'y faire !

— Quoi ? Mais qu'est-ce que tu racontes ?

Léo le tire vers lui et lui chuchote à l'oreille :

— Te regarder de loin, c'est terminé. J'ai l'intention de te poursuivre jusqu'à ce que tu m'appartiennes, si possible de ton plein gré, mon chou.

Arrivé à destination, les portes de l'ascenseur s'ouvrent délivrant sa cargaison. Luc, qui n'a pas bougé d'un pouce, sursaute alors que Léo gagne le couloir : « Je rêve ou il vient de me peloter les fesses ce crétin ? ».

Installé dans son fauteuil, la scène surréaliste se rejoue dans sa tête. Il réalise son handicap car contrairement à Léo, il est loin, très loin de connaitre son adversaire. Toutes ses certitudes le concernant sont en train de s'envoler alors qu'il s'engage, malgré lui, dans un jeu dont il ignore les règles. 

Derrière ta haineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant