Chapitre 2 - Chiara

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Je sentis son regard sur moi alors que, les yeux fixés sur l'écran de mon ordinateur, j'étais en train de sourire en échangeant avec une cliente. Je conclus pourtant notre conversation comme si je n'avais rien remarqué :

— Très bien, Marie. Je vous enverrai comme convenu un message pour vous confirmer l'expédition de votre tableau.

Je ris encore, poliment mais sans me forcer parce qu'elle était tellement enthousiaste à l'idée de recevoir son tableau autour duquel elle a tourné pendant plusieurs semaines avant de se décider et que cette convoitise, je la comprenais moi aussi. Je raccrochai ensuite, avec autant de désinvolture que possible, et seulement alors me décidai à quitter mon écran des yeux pour les lever en direction de l'homme qui me contemplait effectivement à travers la vitrine depuis le trottoir.

Pourquoi l'avais-je perçu lui, parmi tous les clients ou badauds qui se baladaient dans la Vieille Ville et s'arrêtaient parfois pour contempler les œuvres des artistes que représentait Oncle Georges ? Aucune idée. Ce qui est certain, c'est que je l'avais senti comme s'il m'appelait et que je croisais désormais un regard perçant dirigé dans ma direction.

Je n'avais pas l'habitude d'être directe avec les hommes. Avec personne d'ailleurs, même si je n'aimais pas non plus qu'on m'importune et que je n'étais pas apathique pour autant. Pourtant, moi aussi, je le dévisageai. Comme sans doute toute personne appelée à le croiser l'aurait fait. Parce qu'il était magnifique, longiligne et élégant tout en dégageant une énergie puissante et inhabituelle. Une sorte de promesse sombre. Comme celle d'un parrain de la mafia dans l'imaginaire collectif. Ou de ces anges noirs des héroic fantasy.

Sauf que j'aurais parié mon salaire qu'il n'avait rien d'angélique malgré sa beauté hors du commun.

Deux hommes vêtus de costumes semblaient l'accompagner tandis qu'un SUV noir stationnait sur le trottoir d'en face, sans égard pour le caractère piétonnier du secteur. Semblaient le protéger plus exactement, - même si on pouvait se demander si un type comme lui pouvait vraiment avoir besoin de l'aide de quiconque. L'un était de biais, observant l'intérieur de la galerie et ce qui se passait à la droite de l'homme en noir. L'autre me tournait son dos massif et semblait surveiller la rue et la gauche du type qui continuait de regarder dans ma direction d'un air insondable.

Tout ceci se passa sans doute très vite, ce moment où je perçus sa présence, où je raccrochai avec Mme Dupuis, où mon sourire se figea sur mes lèvres quand je croisai son regard.

Mais j'eus cette impression étrange que le temps était suspendu. Comme si j'avais mis le film en pause pour mieux me regarder jouer.

Jusqu'à ce qu'il adressât quelques mots à son voisin de droite, avant de se diriger vers la porte de verre de la galerie pour la pousser et pénétrer dans l'enceinte du local avec une assurance non feinte. Il était certes très beau, semblable à une de ces panthères noires dont on regarde chaque mouvement avec fascination, mais ce n'était pas la raison de cette confiance qu'il exsudait, j'en fus étonnamment certaine alors que mon cœur se mettait à battre plus vite.

Pouvoir. Puissance. Intelligence.

Et même si je n'y connaissais pas grand-chose... Sexe.

— Bonjour Mademoiselle.

Une main dans la poche de son blouson en nubuck gris foncé, campé devant mon bureau, il s'adressa à moi sans jeter un œil aux œuvres qui nous entouraient. Sa voix, grave et assurée, était teintée d'un accent étranger que je ne parvins pas à identifier.

— Bonjour.

Je dus déglutir pour proférer ces deux syllabes et bien qu'il ne pût rien percevoir de mon trouble, j'eus le temps de me morigéner intérieurement pour cette réaction stupide qu'incompréhensible.

Le noir est une couleurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant