Le noir est une couleur

Chapitre 3 - Adrian

Je pinçai les lèvres en observant l'image géante de Sacha à l'écran qui s'affichait face à moi.

Blond, bronzé, sain.

Foutument blond- uniformément bronzé puisqu'il adorait surfer à poil - et sain tant qu'il ne s'agissait pas de promettre l'abstinence sexuelle bien entendu.

Sur sa terrasse face à l'océan à San Francisco, il mangeait tranquillement un bol contenant une bouillie infâme et probablement aussi healthy que lui, à base de céréales non raffinées et de fruits sans pesticides cultivés localement. J'imagine qu'il avait fait son yoga et couru sur la plage juste avant.

Gerbant.

Comment nous pouvions être frères et continuer d'aussi bien nous entendre restait un mystère aussi insoluble que l'affaire du Col Dyatlov. Il était aussi blond que j'étais brun, cool quand j'étais imperturbable, solaire quand on me décrivait froid et à l'exception de la forme de nos yeux, - verts pour ce petit con, sombres pour moi- , que nous tenions de notre mère et de notre amour indéfectible pour elle, nous n'avions rien qui aurait justifié qu'on s'adresse la parole si on s'était rencontrés par hasard.

Oui mais voilà.

C'était mon frère et avec lui que j'avais créé Russian Network, d'abord. Et que j'étais en train de finaliser Kryptos désormais.

— Je pense qu'il faut qu'on leur laisse.

— La dernière chose que j'ai envie de faire est de leur laisser justement.

— Je pense qu'on n'a pas le choix et que ce n'est pas un combat que j'ai envie de mener. J'ai 29 ans et pas envie de m'agripper alors qu'on a d'autres projets. Laisse le FSB gérer tout ça, Adrian. La Russie n'est plus notre pays et elle nous a bien baisés. Acceptons leur offre de prix. Si devenir milliardaire avec de l'argent d'un pouvoir que tu ne respectes pas te chagrine trop, donne-le à Sea shepard ou à l'Unicef. Mais sérieusement, frangin : lâche l'affaire si tu ne veux pas finir gavé au Novichoc.

L'affaire, comme disait mon frère sur qui tout glissait comme les vagues de l'Océan Pacifique sous sa planche de surf, c'était le réseau social qu'on avait créé en s'inspirant très clairement de l'aventure Zuckerberg. Russian Network, réseau le plus utilisé en Russie ou récemment en Biélorussie. Plus de 61 millions de visiteurs uniques avec près de 280 millions d'utilisateurs. Comptant parmi les 25 sites les plus visités au monde. Un site qui avait servi l'expression des partisans de la démocratie et de la liberté d'expression mais qui petit à petit avait été muselé et contrôlé, parce qu'on avait refusé de coopérer avec le FSB.

J'avais refusé, pour être précis. Sacha lui était déjà passé à autre chose, sa came, c'était le bio, le surf et le gaming, des univers auxquels je ne comprenais radicalement rien, et la Californie était beaucoup trop loin de Moscou pour qu'il soit vraiment affecté par les pressions qu'on y subissait ou les menaces qui pesaient sur notre mère.

Je n'avais clairement pas envie de lâcher l'affaire mais Sacha n'avait manifestement pas envie de me suivre sur ce terrain-là. Je l'observai qui portait à ses lèvres un verre de jus verdâtre.

— Tu es tellement cliché que c'est presque plus vomitif que ce que tu es en train de boire.

Un sourire me répondit. Le soleil en face constata probablement qu'il n'était pas de teille et décida d'aller se cacher car la luminosité ambiante diminua légèrement à San Francisco.

Foutu connard solaire.

— On peut continuer à parler bouffe. Ou on peut aussi évoquer le fait que j'ai testé ton truc.