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8 Août 2018

L'après-midi touche à sa fin, et comme d'habitude depuis presque une semaine, je sors de ma chambre en emportant un stylo et un carnet pour me poser dehors. Comme un rituel quotidien, dès que la température baisse au supportable, je me promène dans les alentours avec un itinéraire bien précis afin de passer devant chaque endroit concernant ma famille, tel que les anciens appartements, anciennes maisons emmurées ou la grotte à peine visible de l'extérieur.

Je me rends ensuite à mon cousin pour acheter une glace, où il m'accueille toujours avec une grande gentillesse, et je repars toujours avec une glace stracciatella. Je vais ensuite en direction de la Place de Grenoble, proche de ma famille et de la maison, et m'assois sur un des bancs pour écrire toujours plus de détails sur ce qui m'émerveille dans cette ville. Elle n'est pas extraordinaire non plus, ville à la taille équivalente de Saint Martin D'Hères en France, ville de ma naissance, il y a vingt ans elle se résumait à un cœur de la taille d'un quartier typique faites de pavés et aux ruelles étroites.

Cette ville possède une certaine magie je trouve, un certain parfum du Sud, au-delà de l'affection que je lui porte. Peut-être dans l'architecture entre modernité et authenticité, dans cette sorte de fissure entre le passé figé et le futur qui bouge sans cesse, ce sont instants que je capte à la volée et que je dérobe par fascination. Ou peut-être dans cet art de vivre, dans cette Dolce Vita où prendre son temps et rire nous permet de comprendre la valeur de la vie. On peut dire ce qu'on veut de l'Italie du Sud et de leur pauvreté, ils savent vivre. Il l'aborde avec sérénité et apaisement, et même savent faire face aux difficultés avec un sourire. Les soucis que peuvent engendrer le quotidien deviennent futiles quand on entend ces endroits bourdonner de vie.

Et peut-être que c'est pour ça que j'aime tant m'installer dans cette place moderne et spacieuse au milieu de ces authentiques ruelles étroites. Peut-être parce que j'aime observer les personnes âgées s'installer près de la porte ouverte de leur maison, où s'échappe l'odeur douce et amer de la cuisine, jouant aux cartes et bavardant. Peut-être parce que j'aime observer les jeunes comme moi encore fougueux et passionnés jouer, crier, chanter, danser et se chamailler. Et peut-être que c'est en les observant que je me rends compte que je loupe peut-être des instants précieux, et que le mode de vie pressé de la ville n'est pas bon...

Et je note ces observations qui me fascine toujours plus, mes pensées qui s'envolent dans l'air chaud, mes rêves dont celui d'arrêter le temps qui défile pour s'enfuir, mes espoirs qu'un jour ma famille sera de nouveau réunis, mes souvenirs d'enfance encore gravée. Et je ne raconte que peu ma journée dans mon fidèle vieux carnet aux pages cornées et avec mon stylo porte-bonheur, car il y a si peu de choses à dire. Et puis c'est inutile. Ça n'a pas de sens. Je veux juste aller à l'essentiel, et je sais que c'est ici.

Je sais que c'est toujours entouré de ces mêmes voix italiennes que je me sens bien, enfin chez moi. C'est quand même déroutant cette pensée en y réfléchissant, alors quoi, la petite ville de France où je suis née et où j'ai grandi m'est plus étrangère que cette ville qui m'est devenue familière seulement par les rares récits de mes grands-parents ? Cette logique m'échappe mais une part de moi ne veut pas chercher à comprendre. Je suis bien, et je découvre enfin cette endroit dix-huit ans après ma naissance, c'est le principal et je devrais me contenter de ça.

Mes pensées gribouillées sont cessées par l'arrivée d'un gentil nonno vêtu à l'élégance à l'italienne, malgré tout bien typé du Sud avec sa peau presque mat tanné par le soleil et ses cheveux noir corbeaux. Il se pose à mes côtés, et après un sourire, le vieil homme commence à me parler avec naturel. Je l'écoute avec attention, attendrie par sa gentillesse visible, et ne rate aucun de ses mots lorsqu'il commence à me raconter sa vie.

Je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire flatté et gêné sur son compliment, lorsqu'il me considère comme une assez jolie fille à la beauté semblable à son épouse lorsqu'il l'avait rencontré. Il enchaîne justement sur la jolie histoire de leur rencontre avec tout le charme des années cinquante et de la romance à l'italienne, où il évoque sa défunte épouse avec une tendresse qui m'émeut. C'est au bord des larmes que je fini lorsqu'il termine son récit, et c'est avec délicatesse qu'il m'offre un mouchoir en tissu brodé pour sécher mes yeux embués.

Il m'offre un sourire généreux où il affirme qu'un jour je vivrai un conte de fée tel que le sien, avant de me tendre une photo intacte des années cinquante où pose élégamment sa jeune femme. Et je dois reconnaître qu'elle est très jolie, mais me voit-il vraiment à ce point belle pour oser me comparer à la beauté de son épouse ? Il me raconte également avec nostalgie la naissance de ses enfants, leur enfance, adolescence jusqu'à leur mariage et naissance de ses petits-enfants. Et emphatique, je ne peux m'empêcher de revivre avec lui ces moments d'une autre époque. Nous rions et pleurons, mais ce moment est tellement magique.

Vient la fin de son récit, malheureusement pour moi, et le vieil homme pose son regard sur son authentique montre afin de vérifier l'heure brièvement, après avoir perdu son regard rêveusement sur les nuages clairs. Il se lève, incline sa tête respectueusement accompagné d'un charmant sourire, avant de s'éloigner. Je le regarde traverser la place pour rejoindre l'église du quartier, à la façade romane, pour y entrer. Sûrement l'heure de la messe où se rendent encore les croyants dans le Sud. Je reste un moment les yeux dans le vague à ressasser ses paroles, toujours son mouchoir brodé à la main.

Sa femme lui manque, et pourtant, quel homme. Il n'a aucun regret dans sa vie, et pourtant sa vie a été loin d'être parfaite, comme tout le monde. Mais même si la vie lui a fait souffrir, il lui en a jamais voulu. À chaque fois il pardonne, et il fait face à la difficulté avec tranquillité. De même il ne craint pas la mort, il est satisfait de ce qu'il a accompli et sait qu'après il trouvera la paix tel qu'il l'a en lui en ce moment. Il se sent plein, et il sait qu'il a suffisamment vécu. Il est admirable je trouve.

Ce sont les personnes comme lui, les sages, qui font bouger les choses et bouleversent le monde. Ils ont compris l'intérêt de la vie, et ils semblent que peu ne la comprennent véritablement.

[L'uomo che guardava le nuvole, Eros Ramazzotti]

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