1.A ma place

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POV SAINT

Mon masque de protection bien attaché à mes oreilles, je ponce ce vieux meuble récalcitrant dans le but de lui redonner une nouvelle jeunesse. J'y mets toutes mes forces mais le bougre est tenace, depuis combien de temps pourrissait-il dans cette cave lugubre et humide ? Pourtant je suis certain qu'une fois parfaitement poncé et repeint, il aura un succès un fou.

- Tor ? Tor ?!

La voix forte de mon frère me pousse à me relever et à remonter mes lunettes qui me tombent sur le nez du dos de la main. A mesure qu'il m'appelle, je l'entends se rapprocher de plus en plus, pour finalement ouvrir la porte avec fracas et entrer vivement dans mon petit atelier.

- Encore sur cette chose ? râle-t-il les mains sur les hanches. Je t'ai déjà dit d'abandonner les causes perdues !
- Il a du potentiel, je me défends en retirant mon masque et en me relevant. Je suis sûr que dès qu'il sera retapé on le vendra à un bon prix.
- Peu importe le prix si tu passes autant d'heures dessus ! Je t'ai déjà expliqué le principe du coût de revient, non ?
- Oui oui..., je soupire en m'étirant, les muscles ankylosés d'être resté trop longtemps dans la même position. Fais moi un peu confiance, j'ai des doigts de fée !

Il lève les yeux en grommelant je ne sais quoi dans sa barbe inexistante et décide de laisser tomber. De toute façon je l'ai toujours à l'usure.

- Bon Monsieur Doigts de fée, reprend-il plus calmement. Je te ferais dire que tu es en retard de trente minutes sur ta pause déjeuner et qu'il faut que tu sois rentré avant 13h30 parce que j'accompagne Lamaï à l'écho du cinquième mois.
- Ah chouette ! Vous aurez enfin la confirmation à 100% du sexe du bébé alors ?
- Ouep ! Et je ne veux pas louper ça alors bouge tes fesses ! tempête-il en tapant des mains.

Tout excité pour lui, je me dépêche de me débarrasser de mes gants et de mon tablier de travail avant de filer me laver les mains. Je regagne la boutique qui reste ouverte toute la journée et m'empare de mon sac et de ma casquette que j'enfonce sur mon crâne, prêt à filer à mon endroit de prédilection histoire de manger tranquillou.

- J'y vais ! Je fais vite ne t'en fais pas ! je m'écrie avant de claquer la porte derrière moi.

Je traverse les petites rues, saluant des voisins commerçants au passage et évite les places pleines de touristes en passant par des ruelles que seuls les locaux ont le secret. Je connais cet endroit comme ma poche, j'ai toujours vécu ici et j'y ai même fait toute ma scolarité, de la petite section jusqu'au lycée. Pas d'université pour moi, j'ai préféré assurer la gestion du magasin avec mon frère ainé.

Le soleil tape fort aujourd'hui, je ne vais pas faire long feu dehors, avec un peu de chance il n'y aura pas trop de monde à la boutique cet après-midi et j'aurai le temps de continuer à bosser sur mon meuble. Ce genre de petite trouvaille se vend hyper facilement sur internet, surtout en ce moment avec les touristes qui commencent à affluer un peu partout. Ce n'est pas encore la pleine saison mais je ne doute pas que mes petites babioles, comme les appelle affectueusement Aran, vont partir comme des petits pains.

Je crapahute sur le chemin qui mène à la jetée, saluant de la main les restaurateurs que je connais depuis que je suis tout gamin, et me mets à la longer, mon regard perdu dans le vague, l'esprit ailleurs. Je ne remarque pas tout de suite qu'un groupe de jeunes, des lycéens certainement, passent juste à côté de moi.

C'est au dernier moment que je me rends compte de leur présence, m'incitant aussitôt à baisser la tête, la main sur ma casquette pour la faire descendre un maximum sur mon visage, au point de heurter les branches de mes lunettes de vue. Je marche les yeux rivés au sol un long moment, alors même qu'ils sont à présent loin derrière et n'ont même pas fait attention à moi.

In the shadow of your eyes [Édité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant