Paris. Un lieu parmi tant d'autres, qui avait grandi, évolué, sous mon regard attentif. La première présence humaine dans la ville lumière datait de 40 000 avant J.C, d'après les historiens les plus récents qu'il m'ait été donné de croiser. Je n'étais jamais allé sur place, ne serait-ce que pour savoir par quel langage les humains de l'ère préhistorique communiquaient. La formation de l'univers, et cætera, cela ne me disait rien non plus. Je préférais me limiter au début de l'Histoire, tant le temps était vaste à découvrir.
Ainsi j'avais vu Paris, ma ville, ma protectrice, dans ses chutes, ses victoires, ses moments sombres et glorieux. Mon année de référence, pour tous les événements historiques que j'avais choisi de vivre, était la plus récente à laquelle j'avais accès. 2020. Un siècle avant. C'était de là que je pouvais déterminer mes prochains voyages dans le passé. Je m'étais rendu par tous les évènements qui définissaient Paris. La prise de la Bastille, j'y étais, mais je ne suis pas resté durant le reste de la Révolution. C'était simplement pour pouvoir me vanter d'y avoir participé, même si je n'avais pas changé le futur : Ce passé était déjà passé. Il ne comprenait qu'une seule ligne temporelle, qui avait déjà eu lieu. Le présent était ainsi, en réalité, une limite entre l'existant et l'hypothétique. Ce présent-là, je n'y avais pas accès. Comme je l'ai dit, ma limite temporelle était l'année de 2020, un siècle avant le présent. Le conseil des immortels en avait décidé ainsi pour éviter toute faille temporelle.
Ce dernier était composé - comme l'indique le nom du comité - d'Immortels, avec un merveilleux I majuscule. Être "immortel" était anodin pour les gardiens, qui l'étaient tous à un moment de leur vie, que ce soit dès leur venue, comme c'était mon cas en tant que gardien du temps, ou à l'issue d'un test, comme du côté des gardiens des éléments. Mais être "Immortel" était tout autre chose. C'était le titre le plus prestigieux que l'on puisse obtenir. Même les "gardiens suprêmes", une sorte de police des polices pour gardiens des éléments, ne possédaient pas un titre aussi important. Ces "Immortels" étaient choisis au compte goutte, et le conseil en intégrait un nouveau tous les millénaires.
Dans ce présent se trouvait le gardien de l'espace, prisonnier d'une boucle temporelle, en 2120. Après cette date était le vaste futur, qui m'était inaccessible. Inaccessible, mais pas inexistant. Seulement hypothétique : il était composé d'une infinité de lignes temporelles différentes, avec certaines plus probables d'arriver que d'autres. Cela faisait une infinité de possibilités de nouveaux voyages... J'avais fait le tour de ma petite ville à travers le temps, et je m'ennuyais terriblement. Le gardien de l'espace avait l'infinité de l'univers à visiter, mais moi j'étais enfermé dans une cage aux barreaux invisibles, et à chaque fois que j'arrivais à l'extrémité de ma prison, celle-ci me renvoyait à l'autre bout. Cela se nommait une boucle spatiale.
- Eh ! Tu m'aides ou tu m'observes ? me cria Gustave d'un air moqueur.
Je levai la tête vers lui et m'excusai de mon moment de distraction. Je gravis les marches de l'échafaudage qui gémit sous mon poids. Je ne serais pas étonné qu'il finisse par s'effondrer, celui-là. Gustave autant que lui, par ailleurs.
Ce dernier se pencha et m'attrapa la main pour m'aider à atteindre son niveau.
- C'est beau, n'est-ce pas ! murmura-t-il.
- Oui, c'est magnifique. Tu peux être fier de toi.
J'admirais quelques secondes le tout Paris qui se dessinait au loin. C'était simplement magique. Les lumières oscillaient les unes après les autres, pour finalement éclairer la ville entière.
- Et dire que mon bijou ne sera plus, après l'exposition Universelle... Deux ans de travail pour cela...
- Tu pourrais être surpris par sa destinée... Elle est magnifique, cette tour, elle va aller loin, j'en suis sûr... lui assurai-je en posant ma main sur son épaule.
Le voyant toujours rêveur, j'enchainai :
- Et tu vas l'appeler comment, cette merveilleuse tour ?
- La géante de fer. C'est ce qu'elle est.
Je fis mine de réfléchir à son idée, avant de faire une remarque qui ne venait pas de moi.
- Tu devrais lui donner ton nom, pour que l'on se souvienne toujours de ce que tu as accompli.
- La tour d'Eiffel... souffla-t-il. C'est une idée. Mais elle ne m'appartient pas, cette dame de fer, elle est à Paris.
La ville était à présent totalement engloutie dans l'obscurité, et elle n'en était que plus belle.
- Je dois te laisser, Gustave, je dois...
- Aller la rejoindre ? Je t'en prie, mon petit, ne la fais pas attendre.
J'esquissai un sourire et rejoignis le sol à la hâte.
- À demain ! lui hurlai-je en le saluant.
La, pour Gustave c'était une fille, que je retrouvais quand je n'étais pas avec lui sur le chantier. Mais la, pour moi c'était Paris, à travers le temps. Car quand je n'étais pas avec lui, je voyageais dans le temps avant de revenir exactement le lendemain de mon départ, après parfois plusieurs mois de voyage. Si bien qu'il ne se rendait jamais compte de mon absence. Alors, la, c'était aussi le prétexte que j'avais trouvé pour ne pas rester mes journées et nuits entières à travailler à ses côtés. Parce qu'il était insomniaque, mon vieil ami. Il ne dormait jamais, et ne faisait que travailler.
Je marchai le long de la Seine, rêveur. Où aller, cette fois ? Plutôt, quand aller ? Un peu de modernité ne me ferait pas de mal. Cap sur 2050. À Noël, pourquoi pas ? Juste avant le début de la catastrophe...
C'était ainsi le dernier Noël auquel j'avais accès, et il avait une odeur de liberté, de liberté que je savais passée.
J'emplis mes poumons de l'air frais de ma ville, qui ne présentait pas encore de grandes traces de pollution. Les petits véhicules qui servaient de voiture à la petite population de Paris commençaient à se faire de plus en plus rares. Les habitants rentraient petit à petit chez eux, et non pas par obligation, comme ils le vivraient dans une cinquantaine d'années, mais en toute liberté. C'était encore et enfin le bon temps, posé entre les multiples périodes de terreur du début du siècle, et les deux guerres mondiales à venir. C'était ce temps qu'avait choisi mon Gustave pour faire de ma petite ville la plus visitée du monde, et pour y placer un symbole qui perdurera à travers le temps. L'immortelle dame de fer ne partira jamais d'ici, et traversera indéfiniment les époques.
Elle était mon parfait égal, et j'avais participé à sa naissance historique...
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L'espace d'un temps
ParanormalElle a 17 ans depuis une éternité. Elle a 17 ans, depuis 17 boucles temporelles. Elle a 17 ans, depuis 17 ans. ••• Pour lui, les heures ne défilent pas correctement. Pour lui, le temps est une planète sur laquelle les êtres vivants suivent un chemin...