J'avais trouvé le lieu idéal. Un énorme chalet, planté en haut d'une petite montagne isolée, à plus de deux cents kilomètres de Calgary, en Alberta. La forêt de pins noirs et enneigés, sur les photos de l'agence de voyage, était une silencieuse promesse de tranquillité. Or, la tranquillité était typiquement ce qui me manquait depuis des années : mon travail pourrait vous laisser imaginer que je n'avais pas à me plaindre. Après tout, un écrivain, ça bosse seul, non ?
Eh bien non, tout faux, cela faisait dix ans que j'écrivais et même lorsque je n'étais que prête-plume pour une ou deux stars de télé-réalité, mon agent et mes éditeurs exigeaient que je sois joignable H-24. Trois ans plus tard, avec la prise de mon indépendance, ce fut encore pire. Je devais assurer les séances de dédicaces, la réponse aux courriers, les interviews, les plateaux-télé locaux et nationaux... sans parler des deadlines que mes éditeurs m'imposaient sous prétexte que je lambinais un peu. A cela s'ajouta une crise familiale : la sœur de ma mère étant morte brutalement d'un cancer de l'œsophage, je dus ajourner plusieurs séances de dédicaces et de lectures pour assister aux funérailles de ma tante. En Alabama. Que les choses soient bien claires : je sais que je vous semble glaciale – mon beau-père me surnomme « Elsa », en référence à l'héroïne de la Reine des Neiges – mais je peux vous assurer que vous seriez aussi réticent que moi à l'idée de retourner au Cœur de Dixie (1) après dix-sept ans passés au sein d'une famille recomposée aussi dysfonctionnelle que la mienne. Mon père, journaliste d'investigation, était mort en Afghanistan lorsque j'avais quatre ans et ma mère s'était remariée très rapidement avec mon beau-père. Ce dernier avait repris les rênes des mines de charbon qui faisaient partie du patrimoine de ma mère. Plusieurs de mes beaux-frères, jeunes adultes, l'y avaient assisté et je ne nierai pas qu'ils firent du bon travail. Ma famille était sans aucun doute la plus riche du comté mais je peux vous assurer que la pression sociale qui pesait sur nous, et surtout sur les femmes, était monstrueuse. C'était sans doute d'ailleurs la raison pour laquelle ma mère s'était remariée aussi vite alors qu'elle adorait mon père. Trop vite, d'ailleurs : s'ils avaient l'avantage d'avoir le sens des affaires, les membres de ma belle-famille étaient globalement de très gros cons. Attention, je ne dis pas ça parce que mon subconscient ne parvenait pas à accepter le fait que mon père avait été remplacé aussi vite, mais parce qu'ils étaient réellement des gens que l'on gagnait à ne pas connaître. Mon beau-père était un homme dur, qui levait rapidement la main sur « la marmaille » si on ne filait pas droit. Mes beaux-frères ne risquaient plus grand chose mais pour ma part, je reçus mon content de gifles de la part de celui qui avait remplacé mon père – la rébellion féminine et l'Alabama ne font pas bon ménage. Et ses connards de fils, suivant l'exemple de leur connard de père, s'amusèrent durant une grande partie de mon enfance et mon adolescence à me rendre la vie misérable. Ça faisait rire mes belles-sœurs. Surtout quand je pleurais. Non, non, je vous rassure, ce n'est pas un épisode de La Petite Maison dans la Prairie en version American Horror Story. Juste un ramassis de gros cons.
Lorsque je fis le voyage jusqu'à ma ville natale, j'eus le droit à tous les reproches imaginables et les retrouvailles avec mon entourage furent plus catastrophique encore que ce que j'imaginais. Ce fut donc sans une once d'hésitation que j'envoyai à mon agent – éditeur et responsable com' en copie – un bref message pour témoigner de mon désir de poursuivre mon deuil encore une quinzaine de jours, tant la douleur était palpable autour de moi. Douleur mon œil. J'avais juste besoin d'air, loin du racisme, de la misogynie, des caprices et des incessantes réflexions de mes belles-sœurs au sujet de la « honte » que je leur faisais en raison de mon manque de classe et mon absence totale de sens stylistique. Me voir dans certaines émissions ou à quelques tapis rouges ne leur réussissait pas mais j'aurais mille fois préféré qu'elles y aillent à ma place. Julius, mon éditeur – plus rongé encore par ses névroses que je ne l'étais – tenta pendant trois heures de me joindre, sans cesse. Ses deux assistants, Mark et Mina – M'nM's comme je les appelle – s'y ajoutèrent et je finis par décrocher alors que mes fesses se trouvaient au fond d'une banquette métallique et froide, dans l'aéroport de Birmingham.
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Le Loup de Rowtag Mountain
RomanceUn romantic suspense entre Jack Adams, une auteure à succès en manque de tranquillité, et Caleb Rowtag un CEO appartenant à la Nation Blackfoot, qui a été rappelé sur la terre de ses pères pour protéger sa famille et ses terres de l'avidité d'une co...