Recueil sur les Âmes Croisées

La seule chose qui compte

Call, sept ans, se promenait dans le parc autour de la Maison du Sang lorsqu'il aperçut une voiture noire. Debout devant une portière ouverte, un homme en costume noir parlementait avec Thaïra. Il ressemblait en tout point aux gardes du corps des dessins animés qu'il regardait à la télé. Massif, baraqué, la peau pâle, les cheveux courts, presque rasés, noirs.

Le jeune garçon se rapprocha, poussé par une curiosité enfantine. L'odeur du garde lui informa qu'il faisait partie des lycanthropes, comme lui. Il en voyait souvent, des loups-garous, mais à chaque fois qu'un nouveau arrivait, même si c'était un adulte ou juste quelqu'un de passage, il était content et ne pouvait s'empêcher de sourire. Rencontrer de nouveaux visages, de nouveaux horizons sur sa race, de nouvelles manières de se contrôler ou juste savoir ce que faisait l'effet de faire partie d'une meute. Il espérait qu'un jour, quelqu'un l'accepterait dans une meute pour pouvoir enfin connaître la sensation de faire partie d'un groupe, d'une famille.

Alors qu'il s'approchait en catimini, l'homme noire ouvrit la portière arrière et tira une jeune fille aux longs cheveux blonds. Call l'entendit grogner et se rebeller. L'aura de cette fillette le frappa de plein fouet et il eût bien du mal à ne pas s'accroupir au sol. Il sourit. C'était une alpha. Et une alpha puissante. Soudain, Mélusia apparut. Elle sourit aimablement et caressa les cheveux blonds de la nouvelle. Call voulut crier, dire à la jeune fille de reculer mais c'était impossible. L'aura de l'alpha continuait à le paralyser. La Directrice tendit la main à la petite louve en lui parlant doucement et elle la saisit. Son aura se replia et Call fut libéré de son emprise, le coeur battant la chamade.

Mélusia emmena la jeune fille dans le bâtiment, Thaïra disparut et l'homme referma les portières et alla s'installer au volant. La voiture disparut et bientôt, il n'y eut plus aucune trace de son passage. Le jeune garçon se rendit dans le grand bâtiment crème aux fenêtres bleues. Il croisa plusieurs jeunes de son âge, certains étaient ses camarades de jeux mais il les ignora. Pour une raison inconnue, il voulait rattraper Mélusia et la supplier de ne pas faire ça. Mais, alors qu'il allait toquer à son bureau, là où il sentait clairement l'odeur de la Directrice et de la nouvelle, une peur lui tordit les entrailles. Il était paralysé, la douleur des expériences lui revint en mémoire. À chaque fois, il avait l'impression de quitter son corps et de mourir pendant quelques secondes. Mais, avant de réellement mourir, il réintégrait son enveloppe et s'endormait d'un sommeil sans rêve. Une sensation de flottement le prenait alors, comme s'il baignait dans un océan sans haut ni bas. Tout à coup, l'envie de fuir le prit mais il résista et recula doucement dans l'intention de quitter ce couloir devenu oppressant.

Mais avant qu'il ne puisse reculer son pied, la porte s'ouvrit. La jeune fille le regarda de ses grands yeux verts sans bouger et, pendant quelques minutes, ils se fixèrent en silence. Puis leurs joues rosirent et ils détournèrent le regard.

— Tu... veux entrer ? demanda-t-elle.

Il recula :

— N... non... je passais... dans le couloir.

— Ah... d'accord.

Call recula encore, laissant la jeune fille sortir. Mélusia, qui les regardait, sourit.

— Tiens Call, je te présente Lou, c'est une nouvelle. Tu veux bien lui faire visiter le bâtiment et lui montrer sa chambre ? C'est la numéro 122.

Le jeune garçon tressaillit mais accepta et il referma la porte en soupirant doucement. Il avait peur que l'enchanteresse ne pense qu'il les espionnait et le punisse pour ça. Rapidement mais sans pourtant affoler la jeune fille, il l'éloigna de la porte et du couloir. Mélusia sourit en croisant les bras. Elle savait ce qu'elle devait faire.

Call lui fit visiter le bâtiment qui constituait le dortoir, puis la cantine et enfin l'extérieur. Lou n'avait plus dit un mot et se contentait de regarder le sol, la tête baissée.