Suffire

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-Il faut de l'amour pour vivre. C'était ce qu'on m'avait appris. Être entourée et aimer était une chose importante. La vie ne tenait qu'à un fil. Il était si facile de la prendre, que ça effrayait les gens. C'est pour cela qu'on vit parfois comme si ce jour était le dernier de notre vie. Et le plus important dans la vie, c'était l'amour. Sans amour, on ne pouvait pas appeler ça une vie. C'est ce qui nous maintient en vie. C'est ce qui nous fait avancer, pardonner... Je l'ai aimé. Je l'ai aimé comme jamais je n'avais aimé jusque-là. C'était beau. C'était fort, passionnant. Il était mon tout. J'étais heureuse, je vivais l'amour de ma vie. Mais vous savez... L'amour, parfois, ça ne suffit pas.

Cinq mois. Ça faisait cinq putains de mois. Elle se sentait entièrement vide, une coquille vide. Elle ne ressentait rien, absolument rien. C'était comme si on lui avait arraché son cœur. Et dans un sens, c'était vrai. Un trou béant se trouvait à l'intérieur de sa poitrine. Elle ne pleurait plus, ne souriait plus. Son âme était en miette.

Ses amis s'étaient inquiétés, et le faisait toujours, pour elle. Son état était tout sauf stable, elle ne mangeait plus et refusait catégoriquement de sortir de sa chambre. Inquiets, mais surtout effrayés de la voir dans un état de démence ou dans un état second, ils s'étaient pliés à chacune de ses exigences. Chacun de ses caprices, ils les avaient tous assouvis dans l'espoir qu'elle puisse se rétablir aussi rapidement que possible.

Finalement, en trois mois elle était retournée à un train de vie normal. Elle remangeait assez pour être rassasiée, sortait de sa chambre, retournait à son travail... Ses deux meilleurs amis avaient soupiré de soulagement en la voyant se rétablir petit à petit. Les séquelles restaient toujours clairement visibles lorsqu'on lui jetait un regard. Elle portait toujours ce masque impénétrable qui empêchait quiconque de lire ses émotions, et son attitude était devenue froide et sèche. Mais elle allait mieux. Elle reprenait sa vie en main et mettait de côté ses soucis et ses tracas personnels pour se plonger dans le travail et oublier. Oublier, tout simplement.

Paul Merand voyait sa meilleure amie plonger de plus en plus dans la solitude et l'abandon. En la voyant ainsi, son cœur se serrait à chaque fois. Il était complètement effrayé par la détresse de son amie, sachant bien qu'elle pourrait disparaître du jour au lendemain d'un claquement de doigts. Travaillant dans la même agence de design qu'elle, le roux n'avait cessé de la surveiller du coin de l'œil depuis des mois durant. Il la voyait s'enfoncer de plus en plus dans ce qu'il qualifierait presque de dépression, et son cœur était effrayé à l'idée de la voir replonger dans ses premiers mois de torture. Il avait l'impression de devenir fou, frôlant à chaque fois la crise cardiaque.

Diane Losey, elle aussi, s'inquiétait pour sa meilleure amie, au même titre que Paul. La voir aussi détruite lui fendait le cœur et ne pouvait s'empêcher de se rejeter la faute dessus chaque fois qu'elle voyait l'allure inquiétante de son amie. Tout était de sa faute. Si elle ne les avait pas présentés, deux ans plus tôt, rien de tout cela ne serait arrivé. Tout était de as faute. Et de la sienne.

En apprenant la nouvelle ce matin-là, Paul en avait fait une crise de folie. Sur tous les prétendants et prétendantes possible et capables de réaliser cet article sur leur nouvelle collection printemps 2020, il avait fallu que cela tombe sur lui. Sur lui, le tourment de sa meilleure amie. Paul le connaissait. Il n'était pas fait pour ce genre d'article. Il n'avait aucun talent en la mode et surtout, n'avait aucune connaissance dans le domaine. Merand ne doutait pas une seule seconde que son ancien ami ait usé de ses relations professionnelles pour en arriver-là. Et ce fut ce qui le répugna plus que tout. Le rouquin savait parfaitement que lorsque Shaun Grisotte voulait quelque chose, il réussissait à l'obtenir. Et ce, qu'importait les moyens.

Alors qu'il réarrangeait son bureau, ce jour-là, sa collègue était venue le voir pour venir lui transmettre l'information. Lorsque celle-ci fut bien entrée à l'intérieur de son crâne, son cœur s'était arrêté de battre et ses poumons avaient cessé de fonctionner, les sens en ébullition. Quand sa collègue sortit de son bureau, ce fut comme si la pression sur son corps retomba pour éclater sur son bureau qu'il frappa violemment. Si l'agence entière avait eu vent du comportement papa poule de Paul durant ces derniers mois, ce fut une surprise pour tous en l'entendant jurer copieusement dans sa barbe, sortant des injures contre la Terre entière et contre les Dieux qui n'avaient rien fait pour obtenir une telle rancœur.

Ordinaire et Insipide [recueil de nouvelles]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant