Nathaniel Talbot avait, assurément, vécu une vie des plus surprenantes. À vrai dire, il admettait sans honte en être lui-même le premier étonné.
Le destin l’avait fait naître dans une bicoque tordue qui ne tenait debout que pour toucher le SMIC, sur la rue la plus désaxée de Deliverance, dans une petite chambrette aveugle qui donnait sur la forêt (laquelle forêt semblait constamment jouer à un, deux, trois soleil avec le premier front de bâtiments). Les dieux semblaient avoir volontairement agencé l’oxygène qu’il goûta dans son premier cri pour qu’il baigne l’endroit d’une teinte dramaturgique de peintre hollandais. Sa croissance intellectuelle fut plus rapide qu’un bœuf aux hormones ; dans le New Dartmoor, on apprend tôt à ne pas descendre dans les caves, ou on perd définitivement la capacité de le faire. L’enfant était vif, et passa son quatrième printemps sans un pet.
La mère du jeune homme mourut en couches, son père glissa dans l’alcool puis dans les escaliers, et Nathaniel fut au final élevé par ses vieilles tantes, ce qui le plaça dans une très bonne position pour devenir par la suite un héros gothique bien comme-il-faut. À vrai dire et selon les standards de Deliverance, Nathaniel était comme qui dirait : dans la moyenne.
À dix-sept ans, il se plongea corps et âme dans le suivi de son chemin tout tracé, et prospecta les bibliothèques du comté pour dénicher une quelconque piste vers un roman interdit, maudit, et, de préférence, rendant possiblement fou son lecteur. À dix-huit il en trouva un — de seconde zone, ce qui lui permit de garder à regret sa santé mentale (il n’en garda qu’un léger cafard pour effet secondaire, quant à ce qui touchait aux recettes de cuisine) ; mais il le lut, n’en fit rien du tout, et se plongea méchamment pour la peine dans la pratique des arts obscurs, parce que les publications d’essais du type "ce que voulait vraiment dire Nostradamus : métaphore ou apocalypse ?" ne sont que rarement bien vues dans ce domaine d’étude.
