Malwares et pâtes de fruits

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Ce quatrième épisode se déroule après les événements présentés dans ma nouvelle COC-CDS (qui figure dans mon recueil De cuivre et de graphène). Nous y suivons la lieutenante Wendy Woodman, officière du CyberDefense Service – entité gouvernementale fictive inspirée de la NSA – aux prises avec un concept parfois troublant pour les nerds inconditionnels : l'IRL...


— Alors, c'est vrai, tu es de l'Agence ?

J'avale mon champagne de travers. Les bulles irritent ma gorge.

C'est pas possible... En plus il m'a surprise en s'approchant comme ça discrètement.

Son sourire mi-complice mi-charmeur (et 100 % insupportable) s'élargit. Je ne vois pas comment il peut interpréter ma toux étouffée comme une réaction positive, mais passons.

Et il en rajoute, conspirateur :

— C'est ta sœur qui m'a dit ça, je suppose qu'elle n'en a pas rajouté pour te rendre mystérieuse, tu n'as pas besoin de ça !

Je lui fais mon plus grand sourire. Celui que les gens n'aiment pas, soi-disant que mes dents sont impressionnantes, ou je ne sais quoi...

En ce moment précis, ça m'arrange.

— Je travaille pour le gouvernement.

— Dire que tu as peut-être accès à tous mes messages, à tous ceux des gens réunis ici... Tu dois voir passer des choses incroyables parfois. (Petit rire entendu.) On partage parfois beaucoup de nous-mêmes dans nos textos ou nos messages sur WhatsApp...

Envie de lui dire qu'en tant que femme qui traîne depuis longtemps sur des communautés en ligne et des réseaux sociaux, les photos douteuses envoyées par des porcs, ça remonte bien avant mon entrée à l'Agence.

Mais je ne partirai pas sur ce sujet. Je réponds calmement, détachée. Histoire de bien appuyer la partie « je ne suis pas intéressée » du message.

— Pas spécialement dans mon secteur, non.

Toujours ce petit rictus en coin.

— Tu ne peux pas m'en dire plus, n'est-ce pas ?

— Non.

Sa main va chercher un petit four sur le buffet, il se penche un peu vers moi au passage. S'il en profite pour frôler « accidentellement » ma cuisse au passage, je lui écrase mon gobelet en plastotruc végétal en pleine figure.

Il s'abstient.

Je guette une occasion de laisser le dragueur en plan. Près de l'arbre de Noël qui occupe entièrement un cubicule, Louise finit une conversation avec deux de ses subalternes. Synchronisation parfaite. Je fais un geste d'excuse au gars (James, Jim ? Je ne suis plus sûre) et m'éloigne vers ma chère sœur. Mon humeur doit davantage ressortir que je ne le pensais, car elle aussi m'offre le sourire de tueur typiquement familial, dans sa variante crispée.

— Wendy ! Tout se passe bien ?

Je pourrais être honnête, lui répondre que :

au milieu de ce groupe de collègues soudés façon startup, le seul qui dépasse l'échange de quelques politesses, c'est le traquenard de plan rencontre que je soupçonne Louise d'avoir fomenté elle-même

j'aurais pu avancer pas mal de dossiers du boulot pour me libérer du temps ce week-end

mes escarpins me torturent après des années de rangers/baskets au boulot

je meurs d'envie de retourner lancer la suite de la simulation de survie d'une exilée Viking sur mon casque VR

Mais le piège Tinder In Real Life mis à part, son intention de me sortir de ma bulle était louable, c'est ma chère sœur, et le vin blanc français est bon.

CyberNoël chez KeoTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant