Yuletide

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Cet épisode renvoie à un projet que j'envisage d'amorcer en format roman : thriller lovecraftien contemporain, où la présence du Mythe serait vue à la fois du côté des "investigateurs", mais également des personnes qui succombent à son influence...

Anna, l'héroïne de ce voyage halluciné, serait possiblement l'un des personnages principaux de mon futur roman...

Le récit ici présent s'inspire ouvertement et librement d'une nouvelle de H.P. Lovecraft, "Le Festival". La représentation de Yuletide ne cherche pas à se baser sur les véritables traditions nordiques, uniquement sur sa représentation par Lovecraft.


— Vous êtes sûre de vouloir continuer à pied ?

La chauffeuse de taxi la fixe par la fenêtre entrouverte. La vitre se parsème de minuscules flocons gelés qui fondent presque immédiatement. Cet air mêlé d'inquiétude et de réprobation qu'Anna connaît beaucoup trop. Le regard qu'on jette à la fugueuse, la vagabonde échappée d'un centre. Compassion. Même pas de méfiance.

— Oui. C'est bon. Je connais la route.

Mensonge ridicule, elle a dit plus tôt que c'était sa première visite ici. Tant pis. Le message est passé, la femme opine sans conviction.

— Comme vous voudrez. (Elle hésite.) Si jamais... Si vous avez besoin, appelez-moi. Vous avez mon numéro. D'accord ?

Hocher la tête poliment, pour donner l'impression que oui, elle a fait sa bonne action, proposé de l'aide à cette paumée qui se lance dans une randonnée en pleine neige au milieu de nulle part.

Anna sent les yeux de la femme encore rivés sur elle pendant qu'elle fait son demi-tour, les roues patinant un peu sur les plaques de glace. Elle se détourne, ne veut plus voir la pitié, le reproche. Celui de la psy, celui de l'assistance sociale, de ce vieux flic à Arkham, quand elle attendait le taxi près de South Church.

Qu'est-ce qu'ils ont tous ? C'est quoi qui les attire, leur permet cette supériorité bienveillante ? Ses orbites ternes, le blouson de sport élimé qui flotte sur les épaules maigres. Les années, la trentaine qui approche ne changent rien.

Toujours l'ado en fuite, la pauvre fille qu'il faut assister et surtout, protéger d'elle-même. Le mois de décembre et les fêtes aggravent encore les choses dans leurs têtes. Allez tous vous faire foutre.

Refluer la frustration, la rage.

Le paysage apaise.

En contrebas des falaises, l'océan écrase des vagues gris terne. Quelques bosquets d'arbres squelettiques sous le carcan de glace. L'asphalte noyée de neige.

Le silence.

Seule.

En s'avançant dans l'épaisseur de poudreuse, près des rochers qui bordent la route, Anna distingue les premières maisons du village, loin en contrebas. Elle sort son portable pour vérifier la distance avec le GPS, mais pour quoi faire, peu importe maintenant. La nuit ne tombe pas encore, et quand bien même...

Elle passe son sac en bandoulière, se met en marche.

L'humidité glaciale perce ses baskets, une brise marine mord ses mains et ses joues.

Une fois de plus, elle se dit qu'elle ne connaît personne là-bas, seulement des noms, des visages sur des photos décolorées par le temps. Les traits impassibles d'un vieil homme lors d'un... Baptême ? Anniversaire ? Avant le deuil (tellement lointain, le mot sonne vide, insignifiant), les foyers, les familles d'accueil...

CyberNoël chez KeoTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant