25 août — 8 h 30
Je me réveille une dernière fois dans ce lit qui étrangement au fil des jours a réussi à devenir confortable. Je regarde par la fenêtre ce grand chêne témoin depuis environ 30 ans des allées et venues de cet établissement. Il trône fièrement dans l'allée centrale du parc, seul échappatoire de quelques heures par jour pour tous ces patients de longue durée.
J'adore calculer l'âge des arbres. Ma grand-mère paternelle m'a appris une méthode permettant la datation par le biais de la circonférence de l'arbre. Il faut toutefois connaître la variété précise de ce dernier, car il détermine le facteur de multiplication par :
• 1,5 pour l'érable argenté, l'orme, le peuplier ;
• 2 pour le bouleau, pin blanc, pin rouge, pin d'Autriche, frêne, l'érable rouge, le chêne et le mélèze ; par 2,5 pour le sapin baumier, le hêtre et le frêne ;
• 3 pour les arbres à croissance très lente comme le chêne rouge et le noyer.
En pratique, mesurez la circonférence de l'arbre à une hauteur d'environ 1,40 m du sol, puis déterminez le diamètre du tronc en divisant la circonférence par Pie (3,141 6). Enfin, multipliez le diamètre du tronc par le facteur multiplicateur correspondant à votre type d'arbre et vous aurez un âge approximatif de celui-ci.
C'est une activité qui m'a beaucoup occupée pendant mes séjours ici et m'a permis de m'aérer l'esprit afin de garder le brin d'innocence qu'est censé avoir n'importe quel adolescent. Et surtout, ça me donnait une raison de sortir de cette chambre quelques minutes chaque jour passé ici plutôt que chez moi.C'est la dernière semaine des vacances d'été avant ma rentrée en terminale et aujourd'hui j'ai le droit de sortir définitivement de cet hôpital. Après une ultime visite de contrôle et la signature d'un tas de paperasse, j'ai enfin le feu vert pour rentrer à la maison pour de bon. Attention, je ne suis pas guérie... Mais je peux au moins rentrer chez moi et essayer de reprendre un train de vie presque ordinaire d'une adolescente plus vraiment ordinaire.
Je viens de passer deux mois à recevoir de la chimiothérapie par perfusion. En règle générale, vous vous rendez à l'hôpital le matin et vous rentrez chez vous une fois la séance terminée. Puis suit une période de repos d'environ 21 jours entre deux cures pendant laquelle le traitement n'est pas délivré.
Sauf que dans mon cas, quand on m'a détecté mon cancer du sein, cette vermine était déjà en grade 3 B. Ce qui signifie que la tumeur a envahi les muscles de ma paroi thoracique et que le cancer était inflammatoire. Résultat, puisque c'était mon premier cycle de chimiothérapie et que je suis mineure, ils ont décidé de m'hospitaliser pour permettre à l'équipe soignante de s'assurer que le traitement soit bien toléré. C'était aussi l'occasion de bien comprendre toutes les étapes du traitement.
Après seulement deux à trois semaines suivant le premier traitement, j'ai commencé à perdre mes cheveux. Puis ça s'est accentué avec les séances suivantes. Ça peut paraitre idiot, mais c'est ce que j'ai le moins supporté. La vision de mes cheveux roux dessinés par des ondulations qui s'envolaient progressivement au fil des semaines m'était insupportable.
Au milieu du mois de juillet j'ai donc demandé à Charlotte de venir avec une paire de ciseaux et une tondeuse afin de mettre court à cette souffrance visuelle. On a tout rasé. Cela m'a permis d'avoir un sentiment de puissance sur la maladie, j'avais coupé moi-même mes cheveux avant que ce ne soit elle qui me les prennent totalement.
Charlotte est ma meilleure amie. C'est d'ailleurs plus ou moins la seule qu'il me reste depuis l'annonce de mon cancer. Avant il y avait aussi Sam, mais elle n'est jamais venue me rendre visite à l'hôpital. Les appels et SMS ont rapidement cessé d'exister et depuis mon retour à la maison c'est silence radio.
Avec Charlotte on se connaît depuis la maternelle, on a grandi ensemble à Rouen.
C' est le genre de fille que tout le monde aime. Petite brune aux yeux verts qui peuvent virer dans du bleu si le soleil vient s'en mêler, un style vestimentaire discret, mais distingué. Elle est ouverte au monde et a beaucoup d'empathie. C'est ma meilleure alliée, et ça depuis notre premier jour en classe élémentaire où elle m'a dit ces mots : « ne pleure pas, la journée va vite passer. On y va ensemble si tu veux, je m'appelle Charlotte. Et toi ? »
Ça fait onze ans à cette rentrée que le duo Charlotte et Romane existe et perdure.25 août — 19 h 30
Ce soir, une fois tous à table avec mes parents et Arthur mon petit frère de six ans, nous commençons à manger dans un calme étrangement rare pour ma famille.
- Romane ça va ? Tu es beaucoup plus bavarde que cela habituellement, lança alors mon père.
- Tout va bien papa, merci. Je suis juste fatiguée de ces dernières semaines et la rentrée qui arrive bientôt ...
Je ne suis pas plus stressée que cela concernant ma dernière année de lycée. Je suis plutôt assidue et arrive à garder un bon niveau scolaire malgré mes lacunes sur le plan mathématique. Non, ce que j'appréhende c'est le regard des gens sur la nouvelle Romane. Car oui, le cancer m'a changé que ce soit physiquement ou psychologiquement. Je me sens faible, hypersensible et j'ai l'impression d'avoir perdu une part de féminité suite à mon alopécie. Le lycée grouille d'étudiants qui ne pensent qu'à l'image qu'ils renvoient en se filmant et se photographiant. Je ne le sais que trop bien, j'en fais partie. Et alors, quelle sera leur réaction en me voyant débarquer le premier jour avec ce turban sur le crâne et ce corps amaigri ? Les séances de chimio m'ont causé des nausées, des vomissements et ont perturbé mon absorption normale de nourriture.
- Tout ira bien chérie, enchaîne ma mère. Tu verras, rien n'aura changé à ton retour, ce sera ton lycée avec tes amis et tes professeurs. Tu rentres en terminale et c'est cette année où tu vas te créer tes meilleurs souvenirs scolaires ! Profite des quatre derniers jours pour te reposer et tu verras, je te le redis tout ira bien finit-elle avec un sourire sur le bout des lèvres pour me rassurer.
Je me contente de lui sourire en retour et termine mon assiette pour couper court à la conversation que je n'ai absolument pas envie d'avoir ce soir.Gabrielle et Paul Humbert. Une fleuriste et un steward. Deux personnalités bien différentes mais qui se sont pourtant si bien trouvées. Vous en connaissez encore beaucoup vous des couples qui sont ensemble depuis plus de 20 ans, mariés, deux enfants et qui tiennent la route ? Ce n'est pas rose tous les jours bien sûr, il nous arrive à Arthur et à moi de les entendre se disputer parfois mais jamais bien longtemps ni pour quelque chose de bien grave. J'ai de la chance de les avoir, j'ai eu une enfance heureuse et je sais qu'ils seront toujours là pour moi. Seulement, cette fois c'est différent. Ils ont beau m'écouter, me soutenir, faire du mieux qu'ils le peuvent je n'arrive pas à remonter la pente. Je me sens seule, incomprise et à des années lumières de la Romane avant cancer. Quelque chose s'est brisé en moi, j'ai l'impression qu'une partie de mon corps est partie avec les cellules cancéreuses lors des séances de chimio et qu'une partie de mon esprit n'a jamais accepté le fait que j'étais malade. Et pourtant c'était la vérité, j'étais malade.

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8013 KM
किशोर उपन्यासRomane a 17 ans et fait son entrée en terminale l'année où elle apprend sa maladie. Perdant peu à peu confiance en elle et se sentant seule, elle va prendre repère auprès de Joshua, un américain de 18 ans qu'elle a connu sur internet. Entre amitié...