Chapitre 2

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Chapitre 2 Destination Amboise

Ce vendredi matin de novembre.

Le bus de cinquante trois places est parfaitement garé le long du trottoir du collège Toulouse Lautrec de Fontenay le Comte. Ses larges coffres aux portes béantes laissent entrevoir quelques sacs à dos, glacières et bouteilles d'eau. Monsieur Jean Emone, cinquante six ans dont trente dédiés à l'enseignement, baptisé depuis toujours « Rochenoire » en raison de ses ressemblances vocales flagrantes avec Philippe Noiret et physiques avec Jean Rochefort. Emmitouflé dans son caban, son bonnet et son écharpe, le stylo à la main, il consulte pour la énième fois la liste des futurs occupants du car. Par-dessus son épaule, Madame Anne Till dite « Nana ou Label bleu», en raison de la couleur de ses yeux, remonte ses lunettes qu'elle ne cesse de réajuster après chaque éternuement. La brume et le froid cinglant effacent par instant la beauté du soleil levant. Il est six heures quinze et déjà quelques voitures pointent les faisceaux de leurs phares sur le bitume humide et reluisant. Des portes claquent, des prénoms résonnent, des mains se serrent et des embrassades confirment l'arrivée de quelques collégiens accompagnés de leurs parents. Par ci, par là, des discussions s'entament entre parents, copains, parents et professeurs...

- Nous allons procéder au pointage dans la grande salle, je conseille à tous de faire un passage aux toilettes.

La voix du professeur ne laisse aucun choix aux élèves de se dérober à cette exigence.

Une belle répartition de cheveux blancs précoces ne laisse pas deviner la quarantaine légèrement dépassée d'Anne Till. Ils lui vont au contraire à merveille et semblent presque artificiels. Sportive, mince, élancée, le mètre soixante-dix, elle en paraît trente et son charme naturel allié à sa fermeté ont su faire apprécier à plus d'un réticent les activités sportives qu'elle enseigne.

Edouard s'approche nonchalamment, sa grande silhouette dégingandée se balance à chaque pas. Il a cette souplesse du corps transmise par ses ancêtres Tanzaniens. Chaque mouvement est un mélange de rythme Djembé, Didjéribou, Congas et autres percussions. Pas besoin de baladeurs ou autres lecteurs dans les oreilles, la musique est intégrée dans chacun de ses membres.

- Eh Josh, crie-t-il au nouvel arrivant, je me suis pointé de bonne heure pour squatter l'arrière du bus. Je ne tiens pas à me coltiner les petits de 4ème qui vont me chouiner dans les oreilles. On reste collé à la porte, le premier qui monte garde les places Ok ?

- Ok Doudou. J'ai la tête dans le cul, un petit roupillon pénard ne me fera pas de mal. Charly n'est pas arrivé ?

- Pas vu le coco, comme d'habitude il a dû mettre deux heures à se bichonner.

Lila venant juste de se rapprocher, s'efface en douce pour rejoindre ceux de sa classe de 4ème C, la réflexion d'Edouard lui indique qu'elle n'est pas la bienvenue. Depuis la première fois que leurs regards se sont croisés, elle a ressenti une sorte de colère étouffée à son encontre qui se renouvelle à chaque fois. Elle ne comprend pas pourquoi. Peut-être qu'un jour elle aura le courage de le lui demander ?

A la requête de Charles, le taxi s'est arrêté dans une rue perpendiculaire à celle du Collège, il préfère, même sous la pluie, marcher trois cent mètres plutôt que de laisser les mauvaises langues proférer des analyses ironiques de situations imaginaires dues à la fortune de ses parents. Des :

- Monsieur se fait conduire par son « Higgins » personnel

- Quand on se fait conduire par un chauffeur, on va dans une école de riche.

- Et les bus, c'est fait pour les pauvres ?

Avec l'approbation de ses parents, Charles a intégré cet établissement parce qu'il est né ici, qu'il est un enfant comme tous les enfants, qu'il est fidèle à ses amis depuis la maternelle, qu'il ne veut pas croupir en pension au milieu de fils de bourges, de professeurs guindés, de chambres impersonnelles. Ce choix lui demande beaucoup d'énergie pour arriver à refléter ce qu'il est réellement. Etre lui aux yeux des autres élèves ne ressemble pas toujours à ce qu'il est de par son éducation et ce qu'il perçoit des attentes de sa famille. Alors souvent, il préfère se taire plutôt que de paraître supérieur ou insolent.

- Tu foutais quoi vieux, ça fait deux plombes qu'on t'attend, on va finir éponge. La casquette imbibée d'Edouard atteste ses paroles.

- A cause de la pluie, Rochenoire veux faire l'appel sous le préau, ajoute Joshua, va falloir qu'on speed pour avoir le siège arrière, sinon tintin pour être ensemble. J'achèverai ma nuit aux doux sons de vos conneries.

- Ben moi je veux bien rester à l'entrée et vous répondez pour moi à l'appel. Comme ça, dès le signal, je m'engouffre et je fais dégager les nains déjà entrés.

- OK Doudou, ça marche.

La pluie gifle la vitre arrière. Bien calé sur le côté, son sac à dos sous la tête, des écouteurs sur les oreilles, Joshua regarde les projections d'eau qui jaillissent des pneus. Ce mouvement incessant alourdit ses paupières à mesure que le jour se lève. Le pari murmuré entre Edouard et Charles sur le futur sommeil de leur compère est lancé. Pour le premier, ce sera avant d'atteindre St Hilaire des Loges, pour le second bien après.

- Oh, là-bas !

La colère se lit sur le visage de Monsieur Emone lorsque, malgré ses recommandations, les projectiles et autres objets ou grossièreté fusent. Il se lève brusquement et saisit sans ménagement l'Alceste du bus et lui fait vider ses poches de caramels, bonbons et autres barres chocolatées fortement interdites à l'intérieur du véhicule. Puis il l'installe de force à la place du surnommé Swcharzy, une espèce de petite brute dont l'oreille écrasée entre son pouce et son index rougit au fur et à mesure qu'il l'entraîne sur l'un des sièges avant, afin de l'avoir à l'œil tout le temps du trajet.

- Le prochain ou la prochaine que j'entends froisser un papier de bonbon se rappellera de sa journée, idem pour le moindre mot doux. J'espère que je me fais bien comprendre.

D'un coup le brouhaha qui dominait le ronron du moteur, laisse la place aux ronrons de sommeil qui s'échappent par-ci par-là de bouches entrouvertes dont celle de Joshua. Edouard a gagné le pari. Les murmures se faufilent à travers les espacements des sièges. Bien que plutôt bienveillant, chacun sait pertinemment que les promesses faites par Monsieur Emone sont systématiquement tenues. Alors, le semblant de calme maintenu tant bien que mal ne cesse de fluctuer.

Dehors, défile la campagne et ses arbres à demi ou totalement dépouillés de feuilles. Le soleil tente une percée dans un ciel voilé de gris. La rouille de fin d'automne éclipse le reste de vert qui scintille sur l'herbe mouillée. Quelques vaches, moutons, chevaux, rapaces, paissent, pataugent, galopent et virevoltent. La campagne devient la chambre où se fanent les fleurs, s'estompent les couleurs et s'évanouissent les hommes comme pour hiberner jusqu'au prochain printemps.

A mesure que la Touraine se rapproche, elle se fait vallons et bosses, bois et forêts, les toitures changent, les propriétés se font plus cossues et quelques châteaux pointent leurs donjons. La vallée de la Loire a fait sa belle réputation au cours des siècles notamment grâce à la vigne et ses merveilleux cépages, à la pêche, au transport fluvial et surtout au tourisme.

Lila, dont la tête plaquée sur la vitre ballotte à chaque virage, regarde s'avancer le Pont qui se dessine à l'horizon comme à travers le zoom d'un appareil photo.

- Nous allons tourner là, pense-t-elle après avoir remarqué le panneau indiquant Amboise à trois kilomètres.

L'agitation de quelques-uns et le changement de direction pris par le chauffeur le confirment. La puissante forteresse médiévale offre à sa vue ses imposantes tours cavalières aux toitures pointues. L'architecture Renaissance laisse apparaître ses reliefs taillés dans la pierre, des balcons aux rambardes, des portes aux fenêtres, des lucarnes aux gargouilles. Lila sent se glisser en elle une soif de découverte qu'elle n'a plus cessée d'avoir depuis que Monsieur Emone leur a parlé de cette période de l'histoire de France qu'il aime tout particulièrement et du génie de Léonard de Vinci qu'il qualifie d'homme d'esprit éveillé. Elle ne saurait définir cette impression, comme une musique qui vous transporte, vous émeut et vous donne à la fois cette chair de poule qui vous laisse sans voix dans le silence qui suit la dernière note jusqu'à la salve d'applaudissement.

Enfin le parking du Clos Lucé.

LE PAS....Où les histoires vivent. Découvrez maintenant