LA FÊTE ÉTAIT étouffante.
La pièce entière semblait bouger d'elle-même. Les corps s'entassaient furieusement les uns contre les autres, suant et soufflant en même temps. Les enceintes semblaient vomir la musique dans l'atmosphère déjà surchargée, et les néons brillaient d'une lueur blafarde. Tout se mêlait, s'emmêlait, s'entremêlait.
Et, au milieu de cette atmosphère saturée, il y avait Samalta.
Samalta... Ses cheveux bouclés accompagnaient chaque mouvement de son corps. Les paillettes sous ses yeux parsemaient les murs d'ombres fantasques, et les néons mettaient en valeur la couleur sombre de sa peau. Ses longues boucles d'oreille rappelaient celles les princesses antiques. Elle était si belle, au milieu de la foule ! On aurait dit un ange, un ange un peu trop triste, déchu du paradis. Elle semblait connaître une tristesse que nul autre personne n'avait connu un jour, et ses yeux remplis de nuages ne verraient jamais le soleil. On aurait dit qu'elle était tombée du ciel, et errait depuis de mondes en mondes à la recherche d'un endroit pour l'accueillir.
En soupirant, Solveig prit une gorgée de son verre.
Immédiatement, son ventre se contracta. L'alcool atténuait sa culpabilité en même temps qu'il la renforçait, lui faisait oublier sa souffrance pour mieux pouvoir la lui ressortir par la suite. Cela faisait une heure que la pièce tournait de plus en plus vite, une heure qu'elle essayait de noyer les regrets dans la boisson. Cela ne servait plus à rien de se restreindre : elle avait déjà rompu sa promesse. Quelques verres de plus n'allaient rien changer, n'est-ce pas ?
Un gloussement la fit sursauter.
— Alors, Solvi ! hurla Lys à un centimètre de son oreille. Tu mates bien ?
Solveig rougit instantanément. Elle s'étouffa, avala une gorgée pour mieux faire passer la honte et tenta vainement de se justifier.
— Je mate pas, je... je regarde comment les gens dansent pour pouvoir les imiter après.
— Ouais ouais, c'est ça, j'y crois. Pense juste à me prévenir quand tu iras « danser » avec quelqu'un !
Lys mima de gros guillemets avec ses doigts tout en éclatant de rire. Elle ajouta un clin d'œil amusé, et disparut dans la foule colorée. Solveig haussa les épaules. Elle était sympa, Lys, mais un peu étrange aussi, le genre de personne où on ne savait jamais vraiment si ils plaisantaient ou pas.
Solveig prit rapidement une autre gorgée. La culpabilité commençait à se tarir, enfin. Des étoiles lui montaient à la tête et les constellations ne tarderaient pas à se former.
Ses yeux se reportèrent une nouvelle fois vers Samalta. Son corps svelte témoignait d'une grâce infinie. Ses cils infinis rompaient avec sa silhouette bien définie, et ses yeux couleurs d'encre ressemblaient à des perles précieuses.
Elle était si belle...
Oh, Solveig n'était pas naïve. Elle savait très bien que cette brusque poussé d'amour ne provenait qu'en grande partie de l'alcool quelle avait ingéré. Mais c'était tellement agréable ! La dernière personne qu'elle avait aimé, c'était Solan. Leur amour était doux et idéaliste. Elle l'avait aimé fort, si fort ! C'était brusque et tendre à la fois, une tornade qui l'avait laissée tremblante, à bout de souffle. Jusqu'à... jusqu'à ce jour maudit, où son cœur avait cessé de battre.
Sans vraiment y penser, Solveig termina son verre.
— Wow, tu devrais ralentir le rythme, la nouvelle.
Solveig sentit son cœur manquait un battement. C'était elle ! Samalta et son corps svelte témoignant d'une grâce infinie, Samalta et ses yeux couleurs d'encre ressemblant à des perles précieuses... Il fallait qu'elle lui parle, le plus vite possible, avant qu'il ne soit trop tard.
— Attends, Samalta !
Solveig avala rapidement le fond de son verre, et s'élança vers Samalta. Celle-ci semblait s'être dissipée dans la foule, comme si sa présence n'avait été qu'une chimère destinée à lui perturber l'esprit. Solveig fronça les sourcils, fit quelques pas de plus. La pièce tanguait dangereusement, mais elle se sentait légère, si légère ! Autours d'elle, tout était étrangement flou. Les voix lui paraissaient assourdies, comme si le monde entier avait plongé en un souffle. La musique se faisait lointaine, et les gens autours d'elle semblaient se mouvoir au ralenti.
Elle étouffait, ici, au milieu de ces gens si semblables dans ce monde de clone. La masse qui l'encerclait se faisait de plus en plus oppressante. Elle ne parvenait plus à respirer. Il fallait qu'elle sorte, là, maintenant, tout de suite, où elle allait étouffer.
Un soupir, une inspiration.
Solveig eut à peine le temps de faire deux pas. Quelqu'un la percuta de plein fouet.
Les formes et les couleurs devinrent floues, imprécises. Durant quelques secondes, il lui sembla que plus rien n'existait, comme si on avait brutalement tenté de l'éjecter de cette dimension. Le vert se mêlait au bleu, perdus dans du rouge pâle et du noir d'encre, couleur peine, couleur douleur. Solveig s'aperçut soudainement qu'elle était effondrée sur le sol. Quand était-elle tombée, exactement ? Le temps et l'espace semblaient avoir perdus tout ce qui les définissait.
Un inconnu était penché au dessus d'elle, mais son visage était bien trop flou pour qu'elle le reconnaisse. Sa voix confondue d'excuses semblait provenir de milliers de kilomètres, et seul un bourdonnement informe parvenait à ses oreilles. La pièce tanguait trop, beaucoup trop. Il fallait qu'elle se calme, où elle allait faire un malaise.
Elle ferma les yeux quelques secondes, se força à inspirer. Un frisson lui traversa le corps. L'air était gelé, ici. Un mal de tête lui vrillait le crâne, comme si des milliers de petits humains s'amusaient à danser sous son crâne.
Une exclamation interrompit ses pensées.
— Solveig, tu reviens enfin !
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Immémoriale
Science FictionYaëlle a dix-neuf ans. Elle est courageuse et indépendante. Son avenir est mort dans les flammes alors qu'elle n'était qu'enfant, mais elle est déterminée à obtenir vengeance. Le problème, c'est que Yaëlle n'existe pas. Yaëlle n'est que pixels, une...