1. Vingt-et-un jours

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   VINGT-ET-UN jours

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   VINGT-ET-UN jours.

   Il paraît que c'est le temps nécessaire pour pouvoir prendre une nouvelle habitude. Vingt-et-un petits jours de rien qui changent tout.

   Cela ne faisait que dix jours depuis que Solveig était arrivée ici, dix jours depuis que son monde avait volé en éclat. Il lui en restait encore onze pour espérer un changement. Onze. A peine la moitié. Solveig ne pouvait s'empêcher de les compter, les recompter, espérant seconde après seconde un changement en son âme. Elle commençait presque à se faire à l'idée, maintenant.

   Vingt-et-un jours.

— Solvi, t'es bientôt prête ?

Jude était face à elle, les yeux pétillants. Voilà bien la seule chose à laquelle elle était parvenue à se faire : la bonne humeur de Jude.

— Oui, dans trois minutes.

La bouche de Jude se retroussa en un arc de cercle, dévoilant de petites fossettes. Il émanait de son sourire une douceur incroyable, mêlé à une ironie sous-jacente qui jaillissait quand on s'y attendait le moins.

— Tu repensais à Rose des Vents ?

— Oh, arrête de me vanner avec ça.

— Qui dit vanner en 2030 ? se moqua Jude en soufflant.

Solveig esquissa un sourire, mais ne répondit rien.

Il faut dire qu'elle avait eu tant d'espoir, pour Rose des Vents ! L'annonce était séduisante : choisir son jeu préféré parmi une liste prédéfinie, et s'y insérer en incarnant quelqu'un pour modifier la quête à sa façon. Comme un jeu vidéo, mais en version réelle.

Pouvoir entrer dans un jeu, rencontrer les personnages et influencer l'histoire... C'était le rêve de toute une génération. Solan lui en avait parlé alors qu'il avait été embauché à l'Agence quelques semaines plus tôt. A l'époque, ils venaient juste de se mettre ensemble. C'est lui qui l'avait poussée à s'inscrire. Elle avait choisi le jeu Rose des Vents, parce que c'est celui qu'elle adorait, et grâce auquel ils s'étaient rencontrés. Elle ne l'avait pas avoué à Solan, mais elle savait qu'elle n'avait aucune chance d'être choisie. Elle n'y croyait même pas.

Du moins, c'est ce qu'elle pensait, jusqu'à ce qu'elle réussisse une par une les épreuves sélectionnant les quelques heureux élus qui allaient tester les jeux en premier.

La dernière épreuve était censée être la plus dure, la plus éprouvante. Solveig s'y était rendue plus confiante que jamais. Elle avait réussi toutes les autres. Elle avait le soutien de Solan. Que pouvait-il lui arriver de mal ?

Jamais elle n'aurait imaginé qu'elle pouvait en mourir.

— Solvi ?

Solveig sursauta.

— Pardon, j'ai totalement phasé.

Jude haussa un sourcil, mais ne répondit rien. Elle était gentille, Jude, le genre de personne prête à tout pour aider quelqu'un. Avec sa silhouette athlétique et sa démarche féline, on aurait presque dit un ange.

— On part dans cinq minutes, je préviens Samalta et on est bon.

Sans attendre de réponse, Jude s'engagea dans les escaliers. Samalta, la « coloc » de Jude (comme celle-ci l'appelait), était la plus intimidante des deux. Avec ses yeux noirs d'encre et ses phrases obscures, elle ressemblait au cliché des personnages mystérieux des romans accomplissants de grandes actions. Elle avait tout de même l'air sympathique. A vrai dire, Solveig ne s'était jamais retrouvée seule avec elle. Elle lui faisait un peu peur.

Solveig prit une profonde inspiration pour crier dans l'appartement :

— Je suis prête, je vous retrouve dehors !

Jude répondit un « oui ! » distrait tandis que Solveig enfilait un pull, un manteau, son écharpe et des gants (qu'est-ce qu'il faisait froid, ici !). L'appartement était beau, mais, depuis son échec de Simulacre, elle détestait les endroit clôts. Elle étouffait, ici. Si elle ne sortait pas de suite, elle risquait de faire un malaise.

Sans attendre plus longtemps, elle s'engagea sur le pallier. La porte claqua, la laissant dans une mi-obscurité dérangeante.

L'après-mort était surprenante, tout de même : c'était un étrange univers composé de grands gratte-ciels, de fumées grises et d'habitants pressés, le tout encadré d'amples lumières qui n'éclairaient pas grand-chose. Jude n'avait jamais parue surprise de ce monde, et s'obstinait à répéter qu'elles étaient en 2030, mais Solveig n'y croyait pas vraiment. Sans doute était-elle morte, elle aussi. Cela aurait expliqué les expressions datées qu'elle utilisait en permanence.

Elle marcha d'un pas rapide vers le début de la rue, d'une part pour se réchauffer, d'une autre pour quitter les ténèbres angoissant. La rue était peut-être belle en plein jour, mais dans la nuit, elle n'avait rien de rassurant. C'était typiquement le genre d'endroit où l'on aurait pu retrouver un corps après un règlement de compte, quelque chose auquel elle n'avait pas forcément envie d'assister.

— Salut.

Solveig sursauta, manqua de hurler.

— Samalta, c'est toi ! Je croyais que t'étais dans ta chambre, Jude te cherche partout.

Solveig reprit lentement son souffle, le cœur battant à mille à l'heure. Qu'est-ce qui lui avait prit d'arriver aussi discrètement ? Elle avait failli faire une crise cardiaque !

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