Comme prévu, Linnie se présente le lendemain matin accompagnée de son fils.
Je comprends à cet instant précis que la vie est imprévisible et facétieuse. Le fils de Linnie n'est ni petit, ni jeune. Il ne ressemble en rien au garçonnet que je m'attendais à rencontrer. De carrure athlétique, c'est un grand gaillard qui dépasse sa mère de plus d'une tête. Lorsqu'il s'approche de moi pour me saluer et avant même qu'il n'ouvre la bouche, je comprends à qui j'ai à faire. Ces yeux bleus, ce regard doux et profond, je les connais. Ils appartiennent à l'un des deux individus venus m'extirper de mon Noxe. Ayant l'impression d'être en présence d'une vieille connaissance, je ne m'effraie pas lorsqu'il pose ses mains sur mes épaules et dépose un baiser sur mes joues.
- Salut Ysia, moi, c'est Knight. On s'est déjà rencontré, tu te souviens de moi ?
Je réponds oui. Les paroles me font toujours défaut, mais mon sens de l'observation a, quant à lui, progressé. Je remarque qu'il a la douceur de sa mère, son sourire franc et entier ainsi qu'une profonde attention envers l'autre. Il reprend la parole :
- Ma mère t'a montré la vie dans les livres, moi, je vais te montrer la vraie vie, celle qui bouge,
qui décoiffe et qui gadouille. Allez viens Brindille, je t'emmène faire un tour.
Il m'enfonce un bonnet de laine sur la tête, enroule une écharpe autour de mon cou, m'aide à enfiler un épais manteau, une paire de bottes et agrippe mon bras pour m'entraîner à l'extérieur. Pour mettre fin aux infinies recommandations de sa mère, il l'embrasse et lui récite les mots qui la rassurent, c'est comme un jeu entre eux :
- Oui, maman, je sais, pas trop loin, pas trop longtemps, ne t'inquiète pas, je te la ramènerai entière.
Mise en confiance par les dernières paroles de Knight, je le suis.
Cette première promenade a été aussi courte qu'intense. Je découvre absolument tout, du vent sur mes joues, aux flaques d'eau boueuses, en passant par les bruits, les odeurs et les couleurs du village. Submergée par une houle de sensations toujours plus fortes et nouvelles, j'agrippe le bras de Knight comme on s'accroche à une bouée de sauvetage. Cette petite marche aux allures de tour du monde m'enivre, m'exténue, mais a l'avantage incontestable de fixer sur mes lèvres un sourire nouveau.
Knight viendra me chercher ainsi chaque jour, dès qu'il pourra se libérer de ses obligations.
Nous passons des heures à parcourir les alentours à pieds, à observer le ciel, les animaux, les plantes, à sentir, toucher, écouter, chahuter et rire aussi. Beaucoup. Je me suis habituée aux tics de langage de Knight qui termine souvent ses phrases par des expressions inutiles comme : « je dis ça, je dis rien », et aux petits surnoms dont il m'affuble avec tendresse. Il pioche selon son humeur dans les lexiques du monde animal ou végétal. Il m'apprend la légèreté, l'humour. Pas une once de méchanceté dans ce solide corps taillé pour supporter armures et boucliers. Le chevalier Knight a définitivement choisi l'optimisme, le rire et la gentillesse pour braver les dragons de la vie.
Au fil du temps, une promenade se détache loin devant les autres au palmarès de nos préférences. Nous l'avons surnommée « le promontoire ». Je me souviens du jour où Knight m'a lancé comme un défi, pointant l'index vers le sommet d'une falaise :
- Allez, Moineau, si t'es cap, on grimpe tout là-haut, tu verras y'a du gaz comme tu n'en as jamais vu !
Je ne savais pas ce que cela signifiait, mais son air béat, gage d'une extraordinaire expérience, m'avait alors convaincue de le suivre.
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YSIA 3063
Science FictionLa vie d'Ysia s'écoule douce et sereine, dans un confort parfaitement réglé et paramétré. Ce bonheur la comble et la rassure. Mais un beau jour, et à son grand étonnement, tout bascule, brutalement, irrémédiablement ... Son destin se met alors en ma...