Cette période représente le chapitre le plus sombre de mon existence, une épreuve que je ne souhaiterais pas même à mes pires ennemis, s'il m'en était donné. Avant cela, malgré les difficultés de la vie, je me sentais baigné dans un océan d'amour, entouré par ceux qui tenaient à moi autant que je tenais à eux. Cependant, tout a basculé lorsque la nouvelle de la maladie de ma sœur cadette, mon unique sœur, m'est parvenue. Étant jeune, il n'était pas question que je retourne au foyer familial, impuissant que j'étais face à la situation. Probablement, pensait-on que son mal n'était que passager. Mais la réalité s'est avérée bien plus cruelle : quelques jours plus tard, j'apprenais le décès de ma sœur, Mesmine Sonia. Une perte dévastatrice, elle qui aurait fêté ses 22 ans en 2021. Cette nouvelle m'a plongé dans un abîme de tristesse. Mes parents étaient inconsolables, confrontés à la douleur inimaginable de perdre un enfant. Durant ce temps, ma mère aussi était malade, bien qu'elle minimisât la gravité de son état.
Peu après les obsèques de Mesmine, l'espoir fugace que la maladie de ma mère n'était qu'un obstacle temporaire fut brisé par une nouvelle dévastatrice. Quelques semaines plus tard, environ trois mois après la perte de ma sœur, alors que je rentrais des champs avec ma tante et mes cousins, la nouvelle de la mort de ma mère m'a été brutalement annoncée. À l'âge de sept ans, face à une telle réalité, le déni s'installe facilement, nourri par l'espoir naïf que peut-être, à l'instar des récits cinématographiques, elle reviendrait. Cependant, la réalité était tout autre.
Le lendemain de sa disparition, sans même un passage par la morgue, nous avons procédé à son inhumation dans son village natal. Entouré de mes frères, l'irréalité de la situation m'enveloppait ; ma mère avait succombé à une méningite, après avoir été partiellement paralysée, une image d'elle difficile à reconnaître, mais indéniablement réelle. En l'espace de trois mois, j'avais perdu non seulement ma sœur chérie mais aussi ma mère.
Le retour à une vie normale après son enterrement semblait inconcevable. Ma tante, persuadée que l'esprit de ma mère continuait de rendre visite à mon petit frère, effectua certains rites pour apaiser ce qu'elle considérait comme des manifestations surnaturelles. Que l'on adhère ou non à ces croyances, leur impact sur notre quotidien et notre façon de gérer le deuil était palpable.
L'année 2002 s'est imposée comme l'annus horribilis de mon existence, marquée par un deuil et une perte incommensurables. La continuation de mes études primaires, d'abord chez ma tante pour le CE1, puis un retour auprès de mon père et de ma belle-mère pour le CE2, a marqué le début d'une période de relative accalmie. Ma belle-mère, loin du stéréotype de la marâtre, s'est révélée être une femme bienveillante. Les années 2003 et 2004 ont ainsi défilé, moins tumultueuses, permettant lentement de reconstruire ce qui avait été brisé.
Avril 2005 a marqué le début d'une nouvelle série d'épreuves, avec la maladie de mon père, diagnostiquée par des "kystes d'amibes". Suivant un schéma douloureusement familier, il s'est éloigné pour se soigner chez son frère, que notre culture considère comme un frère à part entière plutôt qu'un cousin. Le 20 mai 2005, au retour d'un défilé pour la fête nationale à Belabo, mon frère et moi avons pris la direction du village de notre père. Sur place, entouré principalement de femmes, son état semblait désespéré, faute de 8000 F CFA (soit à peine 15€) pour un transfert hospitalier. Lors d'un moment intime avec chacun de ses fils, mon père m'a exhorté à rester sage et à limiter mes escapades en forêt. Affaibli, il n'avait plus la force de son vivant. La nuit du 27 mai, des cris de douleur ont brisé le silence, annonçant son décès. À 10 ans, mes frères et moi devenions orphelins.
Avant l'enterrement, une réunion avec les chefs du village s'est tenue, révélant des tensions autour de la prise en charge des funérailles. Malgré les promesses de soutien de la famille élargie, une fois les rites accomplis, nous fûmes laissés à nous-mêmes. Durant cet été, sous la garde de notre oncle, nous avons été soumis à des rituels étranges, dont le plus marquant fut un repas de mille-pattes salés et écrasés, servi directement au sol, et la création de colliers à partir des ongles de notre défunt père.Après cette période de rites, chacun de nous a dû reprendre le cours de sa vie. Je suis retourné vivre avec ma belle-mère, tandis que mes frères aînés restaient à Belabo pour leurs études et travail, et mon plus jeune frère, jugé trop jeune, est resté avec notre oncle. Cette succession d'épreuves m'a confronté à la dure réalité de la vie et à la nécessité de continuer malgré les pertes incommensurables. Comment avancer quand on a presque tout perdu ? La vie s'est transformée en un parcours de résilience, cherchant un sens au milieu du vide laissé par l'absence.

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C'était pourtant mal parti
Historia CortaHistoire autobiographique qui retrace mes péripéties