Après La pluie, Beaucoup Plus De Pluie

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Retourner à ce qui était autrefois un foyer plein de vie pour se retrouver face à son silence pesant, c'est se confronter quotidiennement au vide laissé par ceux qu'on a aimés. La maison, auparavant symbole de chaleur familiale, était devenue un rappel constant de toutes les pertes subies. Malgré nos efforts, ma belle-mère et moi, pour insuffler un semblant de vie dans ces murs, la maison semblait se draper d'un voile de mélancolie inévitable.
Dans le contexte de notre village, où chaque malheur trouve souvent une explication dans le mystique plutôt que dans le médical ou le naturel, une tragédie n'arrive jamais sans qu'on cherche un coupable au-delà de la fatalité. Cette fois, c'était ma belle-mère qui se retrouvait injustement accusée. La famille de mon père a pointé du doigt cette femme qui avait tenté de tenir sa promesse de rester à mes côtés, l'accusant d'être à l'origine de son décès dans l'espoir de récupérer un héritage qui, en réalité, n'existait pas. Les accusations étaient aussi infondées que cruelles, reflétant la tendance humaine à chercher un bouc émissaire pour les malheurs inexplicables.
Sa lutte pour rester et me protéger face à cette pression insupportable est un témoignage de son engagement envers moi. Cependant, les tensions incessantes ont fini par avoir raison de sa résilience. Quelques mois plus tard, elle a dû s'éloigner, me laissant seul dans ce foyer qui avait perdu toute trace de l'affection et de la sécurité qu'il offrait jadis.
L'espoir d'une amélioration semblait s'effriter avec son départ. Le départ de ma belle-mère a marqué un autre chapitre de solitude et d'incertitude dans ma vie, un moment où l'on aurait pu espérer un semblant de stabilité ou de réconfort après tant d'épreuves. Mais non, la vie en avait décidé autrement, nous rappelant qu'elle ne suit pas un chemin linéaire vers la guérison ou le bonheur, mais est plutôt un tissage complexe d'expériences et de défis à surmonter.
Se retrouver seul dans la maison familiale, à seulement 11 ans, représente une épreuve de solitude et d'indépendance précoce. Les routines quotidiennes de l'école et la quête solitaire de nourriture, entrecoupées de moments de générosité de la part de voisins compatissants, soulignent une maturité forcée par les circonstances. L'intervention de tes deux grands frères, choisissant de sacrifier leurs propres projets pour revenir au village, a dû apporter un soutien inestimable, transformant une situation précaire en un environnement familial plus solide et rassurant.
L'arrivée de ton petit frère l'année suivante a renforcé cette dynamique de soutien mutuel, réunissant la fratrie dans un moment de besoin crucial. La transition vers la classe de 6ème marquait une étape importante dans ton parcours éducatif, mais aussi un nouveau défi avec l'absence de lycée dans ton village. L'opportunité d'aller vivre chez un oncle enseignant pour poursuivre tes études, bien que signifiant un nouvel éloignement de tes frères, ouvrait la porte à des perspectives d'avenir prometteuses.
Cette décision, prise dans l'intérêt de ton éducation, illustre une fois de plus les sacrifices et les choix difficiles que ta famille et toi avez dû faire face à des circonstances extraordinaires. Malgré les séparations répétées et les défis, la résilience et la détermination à surmonter les obstacles pour bâtir un meilleur avenir semblent être le fil conducteur de ton histoire.

En septembre 2006, je suis parti pour Diang, prêt à commencer une nouvelle année scolaire. Cependant, dès le début, j'étais confronté à un obstacle majeur : l'insuffisance de fonds pour payer mes frais de scolarité. Mon frère avait contribué du mieux qu'il pouvait, mais face à la demande supplémentaire de mon oncle, il s'est vu contraint de vendre notre précieuse machine à coudre, dernier legs de notre père, pour financer mes études. Malheureusement, même après ce sacrifice, j'étais toujours empêché de rejoindre l'école, car mon oncle m'utilisait pour travailler dans son moulin à céréales, alors que mon frère croyait que j'étais en classe.
Un mois après le début des cours, alors que je travaillais au moulin, un voisin m'a aperçu et a informé mon frère de ma situation réelle. Furieux de découvrir la vérité, mon frère est intervenu, me sortant de cette exploitation. Suite à cet échec, il a tenté de m'inscrire dans un lycée à Belabo grâce à un ami connaissant le proviseur. Hélas, nous avons été confrontés à un problème similaire à celui avec mon oncle, l'ami évitant toute communication après avoir reçu l'argent pour l'inscription.
Refusant d'abandonner, mon frère a alors décidé de m'inscrire dans un collège privé, plus onéreux mais supposément moins strict sur les conditions d'admission. Le coût s'élevait à 56 000 F CFA, répartis en deux tranches de 23 000 F CFA chacune. Mon frère a réussi à payer la première tranche grâce à des emprunts, mais face à l'impossibilité de régler la seconde, nous avons pris la décision difficile de suspendre mes études pour l'année, en prévision d'une meilleure préparation pour l'année suivante.
Je me suis alors retrouvé à vivre chez une tante à Belabo, cherchant des moyens de m'occuper en attendant de pouvoir reprendre mes études. Parmi les activités disponibles, ma tante possédait un pousse-pousse :

Travailler comme pousseur de pousse-pousse, un métier souvent perçu comme dévalorisant dans la société camerounaise, n'était pas un emploi déshonorant à mes yeux

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Travailler comme pousseur de pousse-pousse, un métier souvent perçu comme dévalorisant dans la société camerounaise, n'était pas un emploi déshonorant à mes yeux. Le travail consistait à charger les marchandises des commerçants sur le pousse-pousse et les transporter vers leur destination, en échange d'une rémunération d'au moins 0,15€. J'alternais ce travail avec l'aide dans les champs de ma tante. L'année s'est écoulée, marquée par la dureté de la vie, mais aussi par l'espoir : toucher le fond signifiait que je ne pouvais que remonter.
Dans ce contexte, mon frère m'a apporté une nouvelle inespérée : la création d'un collège dans notre village et un concours d'entrée prévu le lendemain. C'était un tournant prometteur.

C'était pourtant mal partiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant