2. Fraternité

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14 :26, 1er mars 2015, petite ville de Santa-Christ, Californie du Sud.

La paisible petite communauté américaine fermait difficilement l'œil depuis le retour de Max Stryder dans son enceinte. Les traditionnels ragots de voisinages avaient été substitués par des analyses directement retransmises sur les écrans de télévision du pays et les vertes pelouses municipales, recouvertes de camion de journalistes qui campaient sur place pour espérer recueillir les tous premiers propos du principal intéressé qui s'était jusque-là toujours muré dans son silence. Les commerçants et les deux mille habitants s'étaient donc malgré eux retrouvés dans une véritable tornade médiatique dont le centre du cyclone était un homme qui inquiétait bien plus qu'il ne suscitait la compassion et qui pire encore, refusait de s'exprimer de quelconque manière. Dès le début de la semaine, des panneaux de location et d'agences immobilières s'étaient multipliés dans les pâtés de maison environnants des Stryder malgré les multiples, mais vaines tentatives d'appel au calme lancés par le maire. L'opinion publique était d'ores et déjà faite. Si la justice avait reconnu l'innocence et l'emprisonnement injustifié de cet homme, c'était bien loin d'être le cas de la ville qui l'avait vu grandir.

Max Stryder, quant à lui, venait tout juste de retrouver sa vie d'homme libre et une partie de ses proches. Sa mère, Suzane, avait éclaté en sanglots, l'avait pris dans ses bras et couvert de baisers tandis que son père, Jonathan, s'était contenté d'une simple poignée de main, en éternel fier patriarche qu'il était. Il avait été décidé par les spécialistes de la réinsertion que son retour à la « vie normale » se ferait de manière progressive, afin de ne pas perturber l'équilibre de l'affranchi, ni celui de l'enfant d'aujourd'hui six ans qui lui manquait tant.

A en croire les dires et les photographies de Madame Stryder, la fille de Max et Sarah vivait maintenant dans l'Ohio, chez sa tante maternelle, Judith, et s'était transformée en une ravissante petite blondinette épanouie, héritière des jolis traits de sa mère et des yeux gris si redoutés de son présumé criminel de père. Ses matières préférées à l'école étaient le dessin, la musique, l'anglais et elle avait disait-on, une certaine facilité avec les chiffres. Il s'était écoulé presque quatre ans depuis la dernière rencontre, pourtant, son père espérait toujours aussi le câlin de bienvenue dont elle le gratifiait lorsqu'il rentrait de son service autrefois. Il n'y avait nul doute qu'au moment où son petit ange blond serait en face de lui, Max s'autoriserait enfin les sanglots qu'il avait retenus en prison. En attendant, il se retranchait entre les murs de la chambre d'ami de ses parents comme un enfant s'enferme dans sa forteresse pour s'épargner plus de souffrance qu'il ne lui avait été causé. Aucun des membres de la famille n'osait déglutir un mot. Au rez-de-chaussée, des bruits de vaisselle et du brouhaha de télévision résonnaient dans la cuisine, Madame Stryder était en train de vider et nettoyer l'assiette intacte de son fils, aussi ardue à la tâche que si c'était sa culpabilité qu'elle tentait d'effacer. Elle, la mère indigne qui avait été d'abord persuadée de l'innocence de Max et qui au fur et à mesure de l'affaire s'était laissé persuader par le reste des opinions négatives qui l'entouraient. Le doute avait étreint son coeur comme un vieil ami et n'avait cessé de gagner du terrain depuis le terrible soir où elle avait reçu le coup de fil de la police. Sa belle-fille avait été retrouvée inerte, étouffée par des satanées fleurs, et son fils, le doux Max, à son chevet, la tête enveloppée dans ses bras et incapable de dire un mot. Dieu merci, aujourd'hui était l'aube d'un nouveau jour qui éclipserait ses mauvais souvenirs et Suzane pourrait bientôt retrouver d'avant, tranquille et insouciante.

Au comptoir de la cuisine, se trouvait son mari et leur fille, dix-neuf ans à peine, qui en dépit de la situation prenait plaisir à faire claquer ses ongles contre la surface du plan de travail au grand désespoir de ses parents. Depuis l'arrestation de son grand-frère, Anna Stryder était devenue une véritable petite femme de fer. Après les regards mauvais, les cancanages dont elle était l'héroïne et les altercations qu'elle avait eu à plusieurs reprises avec quelques personnes de la communauté, plus rien ne l'effrayait. Elle était en apparence plus dure que la pierre et plus tranchante qu'une lame acérée.

Le tueur aux caméliasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant