1. liberté

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9 :30, 24 février 2015, station radiophonique de Sacramento.

« -Il est neuf heures trente sur la côte Ouest, merci d'écouter la radio régionale, l'éternelle Radio-California ! Je suis votre hôte, Steven McAdams et comme chaque matin, il est temps de faire le point sur les nouvelles du jour. Si vous venez de réveiller et n'avez pas encore eu l'occasion d'allumer votre poste de télévision pour le bulletin d'information de huit heures, vous n'êtes sûrement pas au courant de ce qui se trame en ce moment, ni même du torrent médiatique qui s'est à nouveau emparé de la petite ville du sud de Santa-Crist à l'occasion du réexamen de l'affaire Pierce-Stryder et de la possible remise en liberté de son accusé. Pour plus d'informations, je vais maintenant laisser la parole à notre expert juridique, John White, qui se trouve actuellement sur les lieux.

-Bonjour Steven. Je suis actuellement devant les bâtiments où se déroule en ce moment-même, une audience très controversée présidée par la Juge Owens. Cette audience tenue à huit clos depuis sept heures ce matin, qui ravive sûrement de macabres souvenirs dans cette tranquille petite ville de deux milles habitants a lieu dans le cadre d'une affaire qui a défrayé plus d'une chronique, je vous l'assure. Et ce n'est autre que celle de Max Stryder, qui je le rappelle, avait été condamné à perpétuité pour le meurtre de sa femme, Sarah Pierce-Stryder en 2012. Il semblerait qu'en ce jour du 24 février 2015, soit trois ans jour pour jours depuis le début de sa captivité, le destin de cet ancien officier de police et citoyen modèle de Californie soit sur le point de prendre un nouveau tournant.

-Vous voulez dire que celui que l'on a surnommé le tueur aux camélias pourrait être libéré ?

-Eh bien, nous ne sommes pas certains de l'issue de cette réouverture, mais il se pourrait bien qu'à cette question je puisse vous répondre par l'affirmative. Si aujourd'hui l'affaire est subitement dépoussiérée, c'est suite aux aveux d'un homme, Matthew Stewart, voisin du couple, qui s'est hier soir rendu au poste de police de Santa-Crist en déclarant avoir fourni un faux témoignage et ainsi s'être parjuré devant la cour lors du procès. Rappelons qu'il était un témoin clé de cette affaire et qu'il a largement contribué à l'emprisonnement de Monsieur Stryder en affirmant avoir entendu une violente dispute éclater entre les deux jeunes mariés ce soir-là. Stewart avait également déclaré avoir vu l'accusé sur le pas de la porte un peu avant dix-neuf heures et en possession des fleurs qui ont servies à étouffer la victime : des camélias.

-Je suppose que chaque élément de l'enquête a été réexaminé ?

-Cela me semble indéniable. Je peux par ailleurs affirmer que même si ces experts trouvaient de quoi disculper le maintenant « présumé innocent » Max Stryder, l'affaire fait déjà grand bruit. Alors que nous installions nos équipements ce matin, une habitante exprimait d'ores et déjà sa volonté de quitter Santa-Christ si toute fois cet homme y remettait les pieds... »

11:25, même jour, Tribunal de la municipalité d'American Canyon.

Dans les longs corridors carrelés de la cour d'assise, on pouvait entendre jusqu'à l'insignifiant bourdonnement d'un insecte piégé en ses murs. Rien qu'un insupportable bruit sourd brisant le silence, comme un appel de détresse continu perturbant la tranquillité d'une nuit. L'ironie du sort voulait qu'au tribunal d'American Canyon ce jour-là, deux combats pour la liberté aient lieu simultanément. Le premier étant celui d'une méprisable petite mouche qui, en s'écrasant sempiternellement contre une fenêtre, espérait ainsi gagner les airs et retrouver sa liberté. Le second, étrangement semblable au premier, étant le combat acharné que livrait à cet instant l'avocat de Max Stryder contre le parti civil dans la salle d'audience n°3. La seule différence notoire était cependant la suivante : Personne ne s'insurgerait si par miracle la mouche parvenait à ses fins.

Depuis que l'audience avait débuté, à sept heures tapantes, une sorte de sentiment d'oppression avait pris chacun aux tripes. Ce matin-là devant l'unique machine à café du palais de justice, ni avocats, ni fonctionnaires n'avaient jugé bon de parier sur le verdict de l'affaire du jour, ni même d'en faire l'objet d'une plaisanterie. Tous s'étaient simplement contentés de boire le liquide brun avant de retourner vaquer à leurs occupations. Après tout, qu'ils se trouvent à l'intérieur ou à l'extérieur de la salle d'audience n°3, l'effet était strictement le même. Les jurés, et la majorité des personnes qui se trouvaient en son sein étaient plongés dans la même ignorance angoissante que la foule qu'ils pouvaient apercevoir sur la pelouse d'en face, tiraillés par leurs doutes. Ici, on avait vu et traité plus d'une affaire sulfureuse, mais jamais un tel engouement n'avait été observé que pour celle du tueur aux camélias. Un tueur qui, sans aucun scrupule, avait emplie la gorge déployée de sa femme de tiges et de boutons de camélias comme on en remplit un vase jusqu'à ce qu'elle suffoque... Si bien que quand les lourdes portes de la justice s'ouvriraient, elles laisseraient peut-être s'échapper quelqu'un. Soit le plus monstrueux des hommes, soit un innocent auquel on avait fait le plus terrible des préjudices.

12:00, même jour, Tribunal de la municipalité d'American Canyon.

Le visage fermé, inexpressif et les mains liées par les fers, on ordonna à l'accusé Max Stryder de se lever. Celui qui impressionnait et répudiait par tant de calme après un premier passage remarqué dans cette même salle trois ans plus tôt se trouvait à nouveau debout, au même endroit, devant la même juge. Tout le monde se rappelait encore des cris déchirants, des ongles de l'amant maudit plantés dans les rambardes de bois de la barre lors de l'annonce de la sentence, lui-même ne l'avait jamais oublié. Les jurés firent leur entrée sous les regards inquiets de l'assemblée qui demeurait encore et toujours dans l'incertitude. La tension était à son comble, le silence se faisait pesant. On énonça les chefs d'accusation, un, par un pendant que l'avocat de la défense échangeait un regard froid et hostile avec l'opposition. Un flot de paroles fût instantanément déversé et le verdict final tomba. Toute l'attention se tourna alors en direction de l'accusé, qui resta sans réaction.

-N'avez-vous pas entendu leurs paroles Monsieur Stryder? Vous êtes disculpé de tout chef d'accusation, autrement dit, vous êtes libre, déclara la Juge Brianna Owens. Félicitations.

L'assemblée retenu son souffle jusqu'au point d'honneur du procès, certaine que l'accusé finirait par délier ses lèvres pour exprimer sa délivrance, sa tristesse, une forme de colère, de mépris... Mais ce ne fut pas le cas. Max Stryder, cet innocent injustement emprisonné pour 1095 jours avait préservé son mutisme et cultivait le mystère qui avait entouré son état d'esprit jusque-là. Les grandes portes de la salle n°3 s'ouvrirent enfin et un homme, bien différent de celui qui y était entré allait en sortir.

"les blessures morales ont cela de particulier qu'elles se cachent, mais ne se referment pas; toujours douloureuses, toujours prêtes à saigner quand on les touche, elles restent Vives et béantes dans le coeur."*

Le tueur aux caméliasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant