bonus. let me down slowly

129 25 20
                                    

[Chanson: Let me down slowly, Alec Benjamin]

La porte s'ouvre, un bout d'air d'automne s'engouffre dans la brèche. Un instant de latence, puis le battant se referme sur quelques mèches blondes frisées. J'ai pas eu le temps de réagir, pas eu le temps de rien faire. Je reste juste là, debout comme un idiot, au milieu du couloir, les yeux sur les chaussures qu'il a oublié près de l'entrée. Pas la force de le rattraper pour les lui rendre.

Pas la force de rien. C'est le vide.

Au bout d'un moment, quand les ombres commencent à danser dans la salle à manger, je me laisse tomber sur le canapé. Mes parents m'ont laissé la maison, leur odeur commence à s'effacer. Les bouquets ont fané, le canapé ne sent plus leur parfum. Tout ce qu'il me reste, c'est une maison froide avec son odeur à lui.

Ma tête tombe en arrière. Les yeux fixés sur le plafond, un rire m'échappe. Il sort de nulle part, c'est juste compulsif ; une manière de lutter contre le trop-plein qui m'enserre la gorge. Je sais pas quoi penser de tout ça, je préfère ne pas y songer alors que mon cœur tambourine dans ma cage thoracique pour essayer de réveiller mes émotions.

Ça y est, Chan est partit. C'est fini ? Peut-être. On verra bien.

Chan est partit, et je pense à toi. C'est peut-être idiot, de penser à toi en un moment comme ça. Pourtant, quand je regarde le plafond blanc, ya juste quelques mèches noires et un sourire d'enfant.

Je sais plus depuis combien de temps on ne s'est pas vu. Je sais plus de quand date cet été. Les instants ensemble se noient dans le passé, mais me reviennent parfois avec une intensité un peu trop crue.

J'aimerais bien te voir, là, devant moi. Ça me réconforterait, sans doute.

This night is cold in the kingdom
I can feel you fade away
From the kitchen to the bathroom sink and
Your steps keep me awake

Chan est partit. La vache, ça fait bizarre.

Le déni et l'envie de retourner le temps me ramènent sans cesse à cet été-là.

Peut-être que s'il était venu un peu plus tard, on aurait pu davantage en profiter. Peut-être que s'il n'avait pas été là, j'aurais plus essayé de garder contact avec toi. Peut-être même qu'on se serait revus. Ça aurait été bien.

Avec des « peut-être », on referait le monde. Paraît qu'il faut pas s'enfoncer dans les souvenirs et les regrets. Mais là, c'est tout ce dont j'ai envie. Parce que sur le moment, ton sourire qui apparaît par intermittence sur le plafond immaculé, c'est la seule lueur de joie que j'arrive à entrevoir. C'est idiot, peut-être, de se raccrocher à quelque chose d'aussi insignifiant. Le temps fait son œuvre, les traits de ton visage s'estompent au fil des mois dans mon esprit, et pourtant, en cet instant, je pense à toi.

Don't cut me down, throw me out, leave me here to waste
I once was a man with dignity and grace
Now I'm slipping through the cracks of your cold embrace
So please, please
Could you find a way to let me down slowly?

Peut-être que, au fond, tu as gardé une place un peu plus importante que ce que je pensais. Peut-être que je t'associe encore à la partie de ma vie où j'étais heureux, où je croquais le vent et l'absurdité du monde à pleines dents.

Peut-être que cette époque me manque.

Je dis peut-être, parce que ça fait trop mal de s'avouer pour de vrai que le passé était mille fois mieux. Les regrets, les souvenirs heureux, tout ça, c'est des suppositions. Du vent, des atomes volatils. Rien de consistant, rien auquel s'accrocher. Et pourtant.

Pourtant, mes poings se resserrent autour de mon foulard. Ce foulard, je te l'avais piqué. Depuis, je l'ai tellement porté qu'il a perdu ton odeur, que j'ai presque oublié qu'il était à toi. Mais là, alors que c'est la bribe la plus tangible que j'ai de toi, j'm'y accroche comme un désespéré.

Chan est partit. Qu'est-ce que j'ai fait, Jeongin ? Qu'est-ce que j'ai fait pour tout foutre en l'air ?

Cold skin, drag my feet on the tile
As I'm walking down the corridor
And I know we haven't talked in a while
So I'm looking for an open door

J'ai plus rien à voir avec le Felix de tes souvenirs. Ça aussi, ça me fait mal de le constater. Peut-être que si t'étais resté, j'me serais efforcé d'être heureux, pour que ton sourire puisse encore faire écho au mien, encore un peu. Peut-être que si j'étais pas partit trop tôt, on aurait pu vivre quelque chose de tellement chouette qu'on se serait plus quitté.

J'ai envie de trouver ton numéro, et de débarquer chez toi. Mais t'as refait ta vie, et je serais le pire des hypocrites à débarquer comme ça, alors que j'ai à peine pensé à toi pendant toutes ces années.

J'sais pas ce qu'il va advenir de moi, Jeong. Une vision brouillée du passé, pas d'anticipation de l'avenir. J'erre dans un monde de vide, les meubles, la maison, tout ce que je connais ne veut plus rien dire. Ce à quoi j'me raccrochais face au désastre de ma vie vient de s'évaporer au détour d'un tourbillon de feuilles oranges. Les couleurs sont parties avec lui. Maintenant, ya plus que ce blanc, ce blanc lancinant, où les mèches noires s'estompent peu à peu.

And I can't stop myself from falling down
And I can't stop myself from falling down

Peut-être qu'on se reverra pas. Je dis peut-être, parce que c'est trop dur de se dire que ya pas d'incertitude. Quitte à baigner dans le flou, je veux nous laisser le bénéfice du doute. Je veux encore croire qu'on pourra se croiser, un de ces jours, au détour d'une plage ou d'un feu de camp, et qu'on se reconnaîtra.

J'espère que je pourrais sentir tes cheveux sous mes doigts, une dernière fois.

J'suis plus bon qu'à espérer, apparemment. Même mon cœur lutte pour m'accorder cette dernière lueur, pour ne pas se laisser totalement envahir par les ombres du crépuscule naissant.

And I can't stop myself from falling down
And I can't stop myself from falling down

Tant qu'il me reste encore un peu d'énergie, je peux encore le dire. J'espère que, là où tu es, tu es heureux. J'espère que tu souris souvent, je ne voudrais pas que ton sourire s'efface. J'espère que, depuis le promontoire de ta vie heureuse, tu ne m'as pas oublié.

J'espère qu'un jour, on se recroisera. Et que, à ce moment-là, il nous restera suffisamment de bribes de joie pour se sourire, une dernière fois.

*****

FIN

(pour de vrai :)

summertime sadness ʲᵉᵒⁿᵍˡᶦˣOù les histoires vivent. Découvrez maintenant