jean pierre vernant

251 3 0
                                    

1 Cette conception agonistique de l'homme , des relations sociales , des forces naturelles , a des racines profondes non seulement dans l'éthos héroïque propre à l'épopée , mais dans des pratiques institutionelles où nous pouvons reconnaître comme la préhistoire de cette guerre "politique " que mènent les citées .

2.Les histoires concernant Dionysos prennent un sens un peu particulier quand on réfléchit à cette tension entre le vagabondage, l'errance, le fait d'être toujours de passage, en chemin, voyageur, et le fait de vouloir un chez-soi, où l'on soit bien à sa place, établi, où l'on ait été plus qu'accepté: choisi.

3.L’un des traits de l’existence humaine c’est la dissociation entre les apparences de ce qui se laisse voir, se laisse entendre, et puis les réalités.

4.La naissance de la philosophie apparaît donc solidaire de deux grandes transformations mentales: une pensée positive, excluant toute forme de surnaturel et rejetant l'assimilation implicite établie par le mythe entre phénomèmes physiques et agents divins; une pensée abstraite , dépouillant la réalité de cette puissance de changement que lui prétait le mythe, et récusant l'antique image de l'union des opposés au profit d'une formation catégorique du principe d'identité.

5.La vraie raison de l'exploit héroïque est ailleurs ; elle ne relève pas de calculs utilitaires ni du besoin de prestige social ; elle est d'ordre, pourrait-on dire, métaphysique ; elle tient à la condition humaine que les dieux n'ont pas faite seulement mortelle, mais soumise, comme toute créature ici-bas, après la floraison et l'épanouissement de la jeunesse, au déclin des forces et à la décrépitude de l'âge. L'exploit héroïque s'enracine dans la volonté d'échapper au vieillissement et à la mort, quelques "inévitables" qu'ils soient, de les dépasser tous les deux. On dépasse la mort en l'accueillant au lieu de la subir, en en faisant le constant enjeu d'une vie qui prend ainsi valeur exemplaire et que les hommes célébreront comme un modèle de "gloire impérissable". Ce que le héros perd en honneurs rendus à sa personne vivante, quand il renonce à la longue vie pour choisir la prompte mort, il le regagne au centuple dans la gloire dont est auréolé, pour tous les temps à venir, son personnage de défunt. Dans une culture comme celle de la Grèce archaïque, où chacun existe en fonction d'autrui, sous le regard et les yeux d'autrui, où les assises d'une personne sont d'autant mieux établies que s'étend plus sa réputation, la vraie mort est l'oubli, le silence, l'obscure indignité, l'absence de renom.

6.Un monde divin multiple, divisé par conséquent au-dedans de lui-même par la pluralité des êtres qui le composent ; des dieux dont chacun, ayant son nom propre, son corps singulier, connaît une forme d'existence limitée et particulière : cette conception n'a pas manqué de susciter, dans certains courants religieux marginaux, dans des milieux de sectes et chez des philosophes, interrogations, réserves ou refus. Ces réticences, qui se sont exprimées de façons fort diverses, procèdent d'une même conviction : la présence du mal, du malheur, de la négativité dans le monde tient au processus d'individuation auquel il a été soumis et qui a donné naissance à des êtres séparés, isolés, singuliers. La perfection, la plénitude, l'éternité sont les attributs de l'Être totalement unifié. Toute fragmentation de l'Un, tout éparpillement de l'Être, toute distinction de parties signifient que la mort entre en scène avec l'apparition conjointe d'une multiplicité d'existences individualisées et de la finitude qui nécessairement borne chacune d'elle. Pour accéder à la non-mort, pour s'accomplir dans la permanence de leur perfection, les dieux de l'Olympe devraient donc renoncer à leur corps singulier, se fondre dans l'unité d'un grand dieu cosmique ou s'absorber dans la personne du dieu morcelé, puis réunifié par Apollon, du Dionysos orphique, garant du retour à l'indistinction primordiale, de la reconquête d'une unité divine qui doit être retrouvée, après avoir été perdue.

leçon de vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant