VENI

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Bernard Chenevoix se remémorait avec amertume les propos de son supérieur lors de leur précédente conversation.

« Bernard... Ce n'est pas contre vous, mon vieux... Mais il faut se rendre à l'évidence, depuis votre arrivée, notre chiffre d'affaires a réellement chuté ! Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais votre travail est de le faire augmenter ! Je ne vous ai pas licencié tout de suite parce que je vous aime bien... Mais, trop, c'est trop ! Je suis sincèrement désolé... »

À présent, alors que le tramway progressait en cahotant et que les passagers étaient ébranlés par les secousses, Bernard méditait sur son triste sort.

***

Tels des spectres ténébreux, muets, se mouvant à travers l'essaim d'êtres humains et le bourdonnement continuel de la cité, les Silhouettes progressaient.

***

Dans un crissement métallique, les portières s'écartèrent péniblement, comme si elles effectuaient un effort considérable. Puis, le troupeau se déversa dans une cacophonie assourdissante vers l'extérieur.

***

Les Silhouettes « se glissaient » sans bruit au cœur de l'essaim, se faufilant entre les êtres insouciants.

***

Une fois à l'air libre, Bernard Chenevoix s'efforça de n'inhaler aucun des gaz malodorants qui émanaient des multiples pots d'échappement alentour. Il s'engouffra dans la marée humaine, ballotté, bousculé de toutes parts.

Alors qu'il expectorait des particules malsaines provenant d'un gigantesque SUV, il ne put réprimer un hoquet de stupeur. Car se dressaient face à lui d'étranges Silhouettes, des êtres qui échappaient à son entendement.

Aucun de leurs membres – s'ils en avaient – n'était visible sous leurs lourds manteaux étoilés et ils...Mon Dieu, se dit Bernard... Ils lévitaient ! Malgré tout, il était en mesure de distinguer leurs regards, perçant l'obscurité de leurs capuchons : deux lueurs écarlates. Émanait de ces êtres insolites un faible halo... de ténèbres.

Bernard poussa un hurlement strident à la vue des Silhouettes... Alors, les têtes des passants firent volte-face, certains se mirent à murmurer et d'autres passèrent un bras protecteur autour de leurs enfants.

Des « C'est un fou ! » ou des « Sale ivrogne ! » fusèrent çà et là... Et les passants se hâtèrent de quitter les lieux.

Mais les Silhouettes demeurèrent au même endroit, dévisageant Bernard de leurs regards vermeils.

Alors, la plus imposante prit la parole de sa voix surnaturelle :

« CE POURRAIT-IL QUE CET HOMME NOUS AIT APERÇU ? », puis, se dirigeant vers Bernard :

« HOMME, NOUS AS-TU VUS ? ».

L'homme balbutia une succession de syllabes inintelligibles puis, sentant l'effroi le gagner, s'élança dans la direction opposée. Mais sa course fut brutalement interrompue lorsqu'il rentra en contact avec une étrange paroi... Bernard s'était heurté à une cloison transparente à la surface bleutée, comparable aux champs de force régulièrement représentés dans les œuvres cinématographiques science-fictives.

Les Silhouettes s'avancèrent...

Bernard parvint à formuler une phrase mais ce fut avec une grande difficulté :

« Q-qui êtes-vous ? »

Alors, les Silhouettes répondirent en cœur :

« NOUS VÎNMES DU FIRMAMENT, NOUS VOYAGEÂMES À TRAVERS LES CIEUX ET NOUS VEILLONS À CE QUE L'ÉQUILIBRE DES TERRES MULTIPLES SOIT MAINTENU. VOTRE TERRE AGONISE ET VOUS EN ÊTES LA CAUSE. NOUS SOMMES ICI POUR RÉTABLIR L'ÉQUILIBRE ET ÉLIMINER LA RACE HUMAINE EST L'UNIQUE SOLUTION.

« MAIS AVANT TOUT, NOUS DEVONS APPRENDRE, ÉTUDIER LES FONDEMENTS DE CETTE SOCIÉTÉ AINSI QUE DE SA CULTURE AFIN QUE LE SOUVENIR DE CETTE CIVILISATION SOIT PERPÉTRÉ ET DEMEURE À JAMAIS GRAVÉ DANS NOTRE MÉMOIRE... »

Alors, Bernard s'effondra violemment et perdit conscience dans un râle étouffé.

***

L'homme émergea brusquement du sommeil lorsqu'un son atrocement aigu retentit. D'un geste maladroit, il fit taire son réveille-matin et s'extirpa à contrecœur de ses draps. Bernard se sentait comblé, dispos, serein et il dévala les marches en direction de son salon, pressé de se servir un café revigorant.

Mais alors qu'il se dirigeait vers sa cafetière, encore somnolent, il les aperçut... les Silhouettes.

Elles se tenaient là, immobiles, semblant sonder les tréfonds de son âme de leurs regards écarlates.

Et les événements de la veille lui revinrent peu à peu...

Soudain, une des Silhouettes s'adressa à lui de son timbre mélodieux :

HUMAIN, TA RÉACTION NOUS PRIT DE COURS. JAMAIS NE NOUS SOMMES-NOUS CONFRONTÉS À UN ÊTRE SIMILAIRE ET TU CONSTITUES UN MYSTÈRE POUR NOTRE COMMUNAUTÉ... TOUS LES HUMAINS SONT-ILS SEMBLABLES ? NOUS REGRETTONS PRESQUE NOTRE DÉCISION, EXTRÊME J'EN CONVIENS, MAIS NÉCESSAIRE...

- Q-que faites-vous chez-moi ?, fit Bernard d'une voix chevrotante.

- HUMAIN, LORSQUE TU T'EFFONDRAS, NOUS FÛMES BIEN SURPRIS. NOUS PROFITÂMES ALORS DE TON... INCONSCIENCE POUR ANALYSER TON PROCESSUS DE PENSÉE. NOUS APPRÎMES TA SÉDENTARITÉ ET NOUS T'EMMENÂMES JUSQUE TON... HABITAT. NOUS SONDÂMES TON ÂME ET LE PEU QU'IL NOUS FUT POSSIBLE D'ENTREVOIR DE VOTRE CULTURE NOUS SEMBLA INCROYABLEMENT RICHE. 

- Lors... Lors de notre précédente conversation, vous m'avez dit... Vous m'avez dit que vous désiriez annihiler la race humaine... Vous ne le pensez pas, n'est-ce pas ? 

- J'AI BIEN PEUR QUE CE SOIT LA SEULE ALTERNATIVE À CETTE DÉVASTATION... »

Dans l'esprit de Bernard, l'effroi laissa place au courroux. Nombreux seraient ceux que la vue de ces êtres terrifiants aurait terrassés, mais l'homme n'était pas de ceux-là. Au contraire, sa spiritualité n'avait pas d'égal et il avait déjà envisagé la possibilité que des êtres supérieurs veillent sur la Terre. Mais Bernard n'avait jamais été séduit par les religions : au contraire il les haïssait plus les unes que les autres. Elles engendraient des conflits perpétuels, leurs adeptes se renfermaient sur eux-mêmes et laissaient les dogmes régir leurs vies... Il était ouvert à toutes les possibilités du moment que celles-ci ne soient pas réfutées par la science. 

« Vous ne pouvez pas anéantir toute une civilisation ! La plus évoluée, qui plus est !, fit-il.    

- SI C'EST L'UNIQUE SOLUTION... 

- Il n'y a pas de solution qui tienne ! Toutes ces vies ! Cette diversité ! Les Arts ! 

- LE SOUVENIR DE CETTE CIVILISATION SERA PERPÉTRÉ  À JAMAIS DANS NOS ESPRITS.

- Très bien, très bien ! Je ne sais pas qui vous êtes ni d'où vous ven... Qu'aviez-vous dit à propos de notre culture ?

-  NOUS AIMERIONS EN APPRENDRE PLUS  SUR CETTE SOCIÉTÉ ET SA DIVERSITÉ. 

- Parfait ! En un mois - je dis bien un mois - je vous ferai changer d'avis !  Je vous emmènerai dans des musées, je vous montrerai des œuvres multiples et je vous renverrai d'où vous venez ! 


Le ChâtimentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant