Le Châtiment

VICI

Bernard, bouche-bée, dévisageait la créature avec un regard mêlé de crainte et d'émerveillement. L'homme avait bien du mal à s'imaginer projeté dans les cieux et un sentiment d'appréhension conquit chaque fibre de son être. L'entité titanesque les accueillit dans un mugissement tonitruant et lorsque les Silhouettes se dirigèrent vers lui, les branchages qui le constituaient s'écartèrent pour former un passage. Elles s'y engouffrèrent et après une brève hésitation, Bernard fit de même. 

À sa grande stupéfaction, l'intérieur de la créature était meublé, ornementé de sculptures remarquables et de tapisseries somptueuses. Des globes de cristal aux propriétés énigmatiques étaient suspendus aux parois feuillues et le sol, des racines entrelacées, était parcouru de dorures sublimes.   

Soudain, le sol se mit à osciller, l'homme s'effondra et l'entité prit son envol dans un puissant vrombissement. 

***

Lorsque Bernard reprit conscience, il était... Mes aïeux !, se dit-il. Il était en état de suspension, lévitant dans une capsule transparente. À l'extérieur, les Silhouettes le scrutaient intensément et lorsqu'elles s'aperçurent qu'il était éveillé, l'une d'elle manipula une manette sculptée en bois et l'homme redescendit. Puis, la capsule se fendit et Bernard les rejoignit.

« HUMAIN, NOUS TE FÎMES UN EXAMEN ET NOUS TE DÉPOUILLÂMES DES BACTÉRIES PRÉSENTES SUR TON CORPS.  NOUS CRAIGNONS QUE DES MICRO-ORGANISMES INDÉSIRABLES PROVENANT DE TA TERRE SE RÉPANDENT SUR LA NÔTRE ». 

Bernard n'avait pas le cœur à protester : il se trouvait dans une autre dimension. Alors, il commit l'erreur de diriger son regard vers ce qu'il jugea être un baie vitrée. Et il aperçut la cité. D'arbres. Suspendus dans les airs. Et il tressaillit de terreur face à ce spectacle déroutant.

« LE PROCÈS AURA LIEU DANS QUELQUE TEMPS. PRÉPARE-TOI, HUMAIN. NOUS ALLONS NOUS RENDRE DANS L'ARBRE DU JUGEMENT ».          

Ainsi, ils gravirent ce qu'il sembla à Bernard des marches innombrables jusqu'à parvenir dans un immense dôme de branchages. Là se tenaient trois êtres colossaux aux contours vaguement humanoïdes.    

Le plus imposant pris la parole d'une voix indescriptible :

« HUMAIN, TU VAS RÉPONDRE DES ACTES DE L'HUMANITÉ. AS-TU UNE OBJECTION À FORMULER CONTRE CE PROCÈS ? 

- Non. Mais j'aimerais attirer votre attention s...

- BIEN. LES HUMAINS SONT INDIVIDUALISTES, ÉGOÏSTES... ILS PROFITENT DE LA NATURE ET LUI NUISENT PAR LEURS MACHINES ET LEURS TERRAINS AGRICOLES. LES AUTRES ESPÈCES ANIMALES SONT DEVENUES "FACULTATIVES" ET L'ÉMISSION RÉGULIÈRE DE DIOXYDE DE CARBONE ENTRAÎNE LE RÉCHAUFFEMENT DE LA PLANÈTE. IL ME SEMBLE ÉVIDENT ET JE SUIS CERTAIN QUE LES MEMBRES DU CONSEIL ICI PRÉSENTS SONT DE MON AVIS, QUE L'HUMANITÉ N'A PLUS SA PLACE EN CE MONDE. »

Un murmure d'approbation parcourut l'assemblée. 

« Mais, selon m... », tenta vainement Bernard. 

- NOUS POUVONS À PRÉSENT CLORE CE PROCÈS. LA SENTENCE A ÉTÉ PRONONC... 

- Excusez-moi mais vous n'êtes pas sans savoir que l'Humanité est essentielle au bon fonctionnement de la planète, fit Bernard.

- HUMAIN, JE TE DEMANDE PARDON ?

- Voyons, la Terre doit être exploitée. Sinon elle meurt ! C'est un phénomène naturel. 

Les membres de l'assemblée, déroutés, se dévisagèrent. 

« Si vous supprimez les Humains, la Terre sera détruite ! Cela a été démontré scientifiquement. Voyez-vous, si personne n'est là pour extraire le pétrole, il s'amasse et s'enflamme au bout de quelques années. À votre avis, qu'est-ce qui a provoqué les grandes extinctions ? Pensez-vous que les dinosaures ont disparu comme par magie ? Et nous sommes là. Nous, les Humains, l'extrayons. Et nous l'exploitons.  

- ÉVIDEMMENT, ON NE NOUS A PAS INF...

- Eh bien maintenant, vous êtes au courant. Alors, quel est votre verdict ?

- EH BIEN, CE NOUVEAU CRITÈRE CHANGE TOUT... »

Alors, les entités murmurèrent entre elles avant de déclarer en cœur :

« NOUS ADMETTONS QUE NOTRE PREMIÈRE DÉCISION FUT HÂTIVE... IL NOUS SEMBLE MAINTENANT ÉVIDENT QUE LE RISQUE EST TROP ÉLEVÉ. NOUS N'ANÉANTIRONS PAS L'HUMANITÉ. »      

***

Tout en dévalant les marches, Bernard se félicita de son incroyable performance. Cette race ne saisissait pas le concept du mensonge, la tâche s'était révélée très simple. 

***

Les flammes dansaient, dévoraient l'étendue autrefois boisée et paisible. Puis vint cette affreuse vision d'un abattoir. Et arriva un immense SUV, flambant neuf, duquel émanaient des volutes fétides... 

Soudain, Bernard se réveilla dans un hurlement d'horreur. Qu'avait-il fait ? Il quitterait les lieux insolites le matin même et rejoindrait la Terre... Pour y faire quoi ? Contempler la désolation et attendre que tout soit fini ? 

Bernard s'extirpa de sa couchette et se rua vers la sortie. Pourquoi avait-il fait cela ? L'Humanité méritait d'être détruite. Il héla les Silhouettes et leur annonça dans un râle.

« J'ai menti. Tout ce que j'ai dit était faux. Faîtes-le ! »