Promesses

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Deux jours plus tard, le comte de Rosscahill rendit son dernier soupir. Selon Sean, il s'était éteint paisiblement, soulagé de pouvoir rejoindre sa tendre épouse. Richard délaissa sa chambre pour s'établir dans celle de son compagnon. Même si ce dernier dissimulait ses émotions à la perfection, le duc devinait que son chagrin était immense.

Le décès de son père rendit l'Irlandais plus désireux encore d'obtenir justice pour les torts que Lord Bradenham avait causés à sa famille. Il se plongea dans le travail avec un acharnement qui inquiéta le duc. Le jeune homme était contraint de forcer son amant à manger, à se reposer, à sortir de son bureau pour effectuer une courte promenade dans les alentours. Les tensions s'accumulèrent durant trois longues semaines. Seuls leurs ébats nocturnes semblaient l'apaiser.

Un matin, après une nuit torride, Richard oublia de regagner son lit, pour entretenir l'illusion qu'il n'était qu'un simple invité. À moitié endormi, le duc prit conscience que Sean et lui n'étaient plus seuls dans la pièce. Il se redressa et croisa le regard neutre de Brian.

Le maître des lieux, déjà habillé, l'interpella, comme si le domestique était invisible :

— Désirez-vous manger maintenant ou souhaitez-vous vous changer ?

— Je...je vais me vêtir décemment, bien entendu.

— Bien, je vous laisse. Brian va vous assister.

Et il quitta la chambre, sous le regard interloqué de Richard. Le valet s'approcha, des vêtements sous le bras :

— Vous n'avez rien à craindre de moi, Mylord. Je suis heureux que Monsieur ne soit plus seul. Le décès du Comte l'a bouleversé. Sans vous, je crains qu'il...vous veillerez sur lui, n'est-ce pas ?

— Je...oui, cela s'entend.

— Monsieur est différent depuis votre arrivée. La solitude n'a rien de bon.

Et sur ces paroles sibyllines, Brian entreprit d'aider Richard à s'habiller. Lorsque le duc rejoignit son compagnon dans son salon privé, il fut frappé par l'expression de lassitude qui marquait son visage. Il en oublia sa colère d'avoir été surpris, entièrement nu, par un domestique dans le lit de son amant.

Il prit place à table et, tout naturellement, ses doigts entrelacèrent ceux de Sean :

— Notre visite à Galway nous apportera les preuves dont nous manquons. Ayez confiance. Nous remporterons ce combat.

— Je l'espère. Je suis fatigué, Richard. Beaucoup ont tenté de s'opposer à Bradenham et voyez le résultat !

— Je refuse de vous voir baisser les bras, Sean ! Vous ne pouvez abandonner ! Pensez à vos parents ! J'ai perdu mon père, moi aussi. Je sais ce que vous ressentez. Et je suis là, à vos côtés. Je ne vous quitterai pas.

L'Irlandais esquissa un pauvre sourire. Puis, il tendit une liasse de feuilles au duc :

— Sur les conseils de mon père, je vais vendre Inagh manor. Notre notaire m'a indiqué qu'il avait reçu trois offres. J'ai acheté une demeure à Edinburgh, en Écosse. C'est une propriété plus petite que celle-ci à l'extérieur de la ville.

— En Écosse ?

— Mon père prétendait que des soulèvements révolutionnaires comme celui de 1798 pourraient se reproduire dans les prochaines années dans le pays. La répression avait été terrible. Avant de mourir, il...il m'a fait promettre de ne pas me mettre en danger. De plus, j'ai reçu une proposition intéressante d'un ami de Saint Andrews. Il se lance dans le commerce avec les Amériques. Il s'est établi à Glasgow mais il aimerait développer ses activités à Edinburgh. Ma fortune n'est pas énorme, j'aimerais le soutenir et m'assurer un futur serein. Même s'il n'est pas de bon ton qu'un Lord accroisse sa fortune comme un vulgaire bourgeois, les déboires de mon père m'ont fait comprendre que le malheur peut frapper n'importe qui.

— Alors, vous...vous allez quitter l'Irlande ?

— Pas totalement. Je possède une résidence à Galway. J'aurais dû vous en parler plus tôt.

— Vous êtes libre d'agir comme bon vous semble, Sean.

— Venez avec moi ! En Écosse. Rien ne vous empêche de profiter de votre fortune loin des scandales de Londres. Ne m'avez-vous pas confié avoir vendu deux de vos cinq domaines ?

— C'est le cas.

— Je vous veux à mes côtés, Richard. J'ai conscience d'être égoïste, de vous demander de commettre une véritable folie alors que nous nous connaissons à peine. Deux hommes ne peuvent vivre sous le même toit et pourtant...c'est ce que je désire.

— Quelle indécente proposition, mon cher comte !

Richard adressa un sourire taquin à son amant. Il reprit les mains de l'Irlandais et les caressa avec douceur. Il aimait le franc-parler de son compagnon. Et la perspective de s'installer avec ce dernier à Edinburg n'était pas pour lui déplaire. Il lui suffirait de se porter acquéreur d'une propriété non loin de la ville et d'une seconde résidence à Galway, naturellement. S'il décidait d'aider Sean dans ses projets, personne ne trouverait étrange qu'ils se fréquentent dans leur demeure respective.

Le duc apprécia la lueur d'espoir dans le regard de Sean. Oui, c'était une véritable folie car il se savait incapable de retourner à Londres, auprès de ses anciens amis. L'étaient-ils encore d'ailleurs ? Cette vie de mensonges, faites de courbettes et de faux-semblants le fatiguait. De plus, même si Oswald était condamné pour le meurtre de son père et celui de Lady Kilkavran, Richard se doutait qu'il existait d'autres victimes. Sean et lui s'étaient promis de les retrouver et d'obtenir réparation pour les préjudices subis.

Le duc toussota avant de reprendre :

— Je vous ai promis de vous aider à retrouver toutes les victimes d'Oswald. Ma présence à vos côtés semble requise. Et si je peux associer la gestion de mes affaires à quelques délectables occupations avec vous, comment pourrais-je refuser ?

L'Irlandais rougit délicieusement. Mais Richard n'avait pas terminé :

— Une question me vient à l'esprit. Allez-vous me courtiser, Sean ?

Le concerné s'étrangla et ses joues s'empourprèrent un peu plus. Le duc décida de cesser la plaisanterie. Ils avaient fort à faire. Une heure plus tard, ils étaient en route pour Galway. Ils devaient y retrouver, dans la demeure de Sean, David et Samuel MacKeon, le fils d'un ami du défunt Comte de Rosscahill. L'apprenti avocat souhaitait discuter de la manière la plus sûre de remporter la bataille judiciaire. D'après son dernier courrier, il semblait avoir d'excellentes nouvelles à transmettre. Par sécurité, chaque missive était codée, jamais aucune information sensible et confidentielle n'y figurait.

Dans la voiture qui les menait à Galway, Richard s'empressa de rassurer son compagnon :

— David est un ami. Rien d'autre. Il est vrai que je ne m'attendais pas à devoir travailler avec lui mais vous seul comptez pour moi, Sean.

Le duc gratifia ensuite l'Irlandais d'un baiser léger. Cependant, lorsqu'ils accueillirent leurs invités, Lord Kilkavran se crispa. Le regard admiratif de David sur Richard Mabelthorpe l'insupportait. Toutefois, il oublia très vite son agacement lorsque l'apprenti avocat lui tendit une feuille de papier, d'un air réjoui :

— Lord Bradenham a commis une terrible erreur. 


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Symphonie irlandaise {M/M}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant