Le procès...

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Le séjour de Sean et Richard à Inagh manor se prolongea jusqu'à la fin du mois d'août. Loin de l'agitation de Londres, les deux hommes avaient pour habitude d'effectuer tous les matins de longues promenades à cheval dans la vallée. Ils s'arrêtaient au milieu de la lande ou au bord d'un lac et laissaient la passion s'emparer de leurs corps. Souvent, ils terminaient la soirée, tendrement enlacés, un livre à la main. Gestes tendres, baisers volés, ils n'hésitaient pas à affirmer leurs sentiments l'un pour l'autre. Ils étaient libres.

En arrivant dans la demeure cossue de Lady Swinsdale au début du mois de septembre, le couple n'ignorait pas qu'ils devaient oublier ces délicieux privilèges que leur avait offert l'Irlande.

Le premier soir, attablés avec leur hôtesse dans une imposante salle à manger, Sean et Richard écoutaient cette dernière leur rapporter les derniers développements de l'affaire Bradenham.

— Il ne s'agit plus d'adultère, d'enfant illégitime et de vengeance personnelle. Maître Abbott m'a confirmé qu'un grand nombre de membres de la Chambre des Lords souhaite profiter de l'occasion pour se débarrasser définitivement de ce cher Oswald. Vous obtiendrez réparation tous les deux, naturellement. Mais, à présent, il convient de rester le plus éloigné possible de cette affaire.

Sean protesta :

— Je ne suis pas venu à Londres pour rester enfermé dans votre propriété !

— Je n'ai nullement mentionné que vous étiez prisonnier de votre chambre, mon ami. Vous témoignerez, comme convenu. Richard fera de même au sujet du décès de son père. J'oubliais, demain, vous serez interrogés séparément au sujet de votre fuite du printemps dernier.

— Je croyais que notre innocence avait été établie au sujet des vols et du meurtre de la comtesse de Talsarm.

—C'est le cas. Je crois qu'il s'agit une simple formalité afin de clôturer cette enquête. Maître Wilkinson et Maître Abbott seront présents afin de vérifier que vos droits ne seront pas bafoués. Dans une semaine vous pourrez rentrer chez vous.

— Je n'ai pas effectué un voyage de dix jours pour si peu.

Richard secoua la tête :

— Je suis d'accord. Lady Swinsdale, je ne vous remercierai jamais assez pour l'aide que vous nous avez apporté mais je ne saisis toujours pas pourquoi nous ne pourrions assister à l'intégralité d'un procès que nous attendons depuis des semaines !

— Richard, vous êtes un charmant garçon mais vous êtes terriblement naïf. Cette affaire va servir de prétexte pour une bataille politique qui s'annonce destructrice. Ainsi vont les jeux de pouvoir. Les ennuis de Lord Bradenham sont une opportunité inestimable pour ses adversaires de l'évincer définitivement. Être mêlés à ce combat serait la pire des choses pour vous deux. Dois-je vous rappeler que vous ne devez en aucun cas attirer l'attention sur vous ? Dois-je vous rappeler que votre conduite est susceptible de vous mener à la potence ou à la prison ? Dans quelques semaines, d'autres scandales éclateront. D'autres duels seront provoqués. Et vous serez loin. Croyez-moi, les petites intrigues de la saison ne sont que futilités face à ce qu'un homme politique est capable de faire. Oh, ne prenez pas cet air-là ! Vous ressemblez à deux petits garçons privés de jeux. Bien, assez discuté de ce sujet. Parlez-moi de vos projets. L'Écosse, si je ne m'abuse ?

***

Les jours suivants apportèrent un peu d'animation : Lady Swinsale recevait sans cesse de nombreux invités. Tous, qu'ils soient fervents défenseurs d'Oswald Bradenham ou ardents opposants au marquis, souhaitaient se rapprocher de la veuve dans l'espoir d'influer sur les décisions qui seraient prises au procès. Sean et Richard assistaient aux entretiens et avaient le plus grand mal à garder le silence face à ces attitudes hypocrites.

Enfin, une semaine après leur arrivée à Londres, ils furent amenés à témoigner. Oswald Bradenham les fusilla du regard mais les deux hommes l'ignorèrent. Lorsque son avocat prit la parole ensuite pour défendre son client, Richard eut l'envie soudaine de se précipiter vers l'ancien ami de son père pour l'étrangler. Avec une impertinence rare, l'homme de loi se lança dans un discours décrivant les misérables conditions de vie du marquis depuis que les attaques à son encontre s'étaient multipliées. L'avocat insista sur les services rendus par la famille Bradenham à la couronne depuis plusieurs générations. Sean s'agitait aux côtés de son compagnon, écœuré par cette allocution hypocrite. Il constatait également que le doute avait envahi un certain nombre de personnes. Révolté, l'Irlandais fut à deux doigts de commettre l'irréparable. Mais le regard noir de Maître Wilkinson l'en dissuada. Lorsqu'ils se retrouvèrent chez Lady Swinsdale, Richard laissa éclater sa colère :

— Ils font passer Oswald pour la victime ! Comment est-ce possible ?

Maître Abbott leva une main en un geste apaisant :

— Richard, calmez-vous. C'est une manière courante de procéder. Le marquis de Glaslyn n'allait tout de même pas reconnaître ses torts. Mais, n'oubliez-pas. Nous disposons de nombreux arguments pour le faire inculper. Votre témoignage et celui de Sean ont été parfaits.

— Comment être certain que le juge ne remettra pas en cause nos dires ?

— Il n'y a aucune certitude Richard. Cependant, je connais l'homme qui instruit ce procès. Il est intègre et ne se laissera pas corrompre par les amis d'Oswald.

— Si vous le dites...

Sean et Richard refusèrent ensuite de quitter Londres. Chaque jour, ils lisaient dans le journal le compte-rendu des audiences. David avait eu raison. L'assassinat du Duc de Lymington et les bâtards d'Oswald Bradenham n'étaient que la partie visible de la malfaisance du marquis de Glaslyn. Peu à peu les langues se déliaient et la noirceur du personnage fut révélée au grand public.

De nombreux incidents éclatèrent aux quatre coins de Londres, comme l'avait prévu Lady Swinsdale. Accidents de fiacre, début d'incendie dans le bureau d'un avocat travaillant avec Maître Abbott, effractions multiples au Bureau de l'Intérieur, révélations de scandales impliquant des ennemis ou des amis de Lord Brandenham. Rien ne semblait pouvoir arrêter dans leur folie les deux camps qui s'affrontaient âprement.

Richard commençait à comprendre que Sean et lui avaient déclenché, sans le vouloir, une véritable guerre. Quinze jours après le début du procès, ils eurent une nouvelle discussion houleuse avec leur hôtesse.

— Bonté divine Richard, je vous répète qu'il est inutile de rester plus longtemps. Maître Wilkinson m'enjoint même de me réfugier dans mon confortable manoir à Hereford aussi vite que possible.

— Je tiens à connaître le verdict. Je refuse qu'il puisse échapper à une condamnation.

— Nous le souhaitons tous. Mais c'est à la Justice de prendre ses responsabilités.

— Si on les laisse faire ! Dois-je vous rappeler que l'un des chevaux de la voiture du juge Russell a été empoisonné pas plus tard qu'hier ?

Ils se dévisagèrent tous les trois avec inquiétude. Ils le savaient, ils n'étaient pas à l'abri d'une mauvaise surprise. 


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Difficile de savoir si Lord Bradenham sera puni ou non... 

Sera-t-il reconnu coupable à votre avis ? 

Symphonie irlandaise {M/M}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant