Embuscade

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Richard tenta de maîtriser sa voix et de ne pas laisser paraître son appréhension :

— Comment le savez-vous ?

— Certains membres de cette bande infâme auraient infiltré plusieurs clubs de la ville. Mon frère Terence a réussi à collecter quelques renseignements. Dépouiller des barons et des vicomtes ne les intéresse plus.

— Mais pourquoi seriez-vous leur cible ?

Lord Bradenham soupira :

— J'ai eu quelques démêlés avec des hommes politiques irlandais. De plus, j'ai appris récemment que mon père avait convaincu quelques députés du Parlement de voter pour l'acte d'Union en 1801. Y a-t-il eu corruption, je n'en ai aucune idée. Quoi qu'il en soit, nous sommes des proies de choix. Quant à vous...c'est un malheureux concours de circonstance. Votre nom est apparu lors d'une conversation que j'ai eue avec l'un de mes amis tandis que nous nous promenions en ville. Je n'ai pas nié désirer une union de nos deux familles. J'ignorais à cet instant que j'étais surveillé par ces vauriens. Vous m'en voyez profondément navré, Richard. J'ai convaincu Ann et nos filles de se rendre sans tarder dans notre résidence de Torrington. Elles seront suffisamment éloignées de Londres le temps que cette affaire soit résolue. Je vous suggère d'envisager la même chose pour Lady Mabelthorpe et vos trois sœurs. Votre frère étudie toujours à Oxford ?

— En effet. Je vais suivre vos précieux conseils. Il me semble que notre manoir de West Heslerton dans le Yorkshire est idéal pour une retraite temporaire. Personne ne s'étonnera que ma mère souhaite un peu de calme après ces semaines difficiles.

— Puis-je vous conseiller ne de révéler à quiconque leur nouveau lieu de résidence ? J'ai prévu d'informer simplement nos amis du souhait d'Ann de se reposer suite à sa longue maladie de cet hiver. Ces Irlandais sont redoutables.

— Je vous remercie pour votre sollicitude. J'ignorais totalement la situation.

Richard se servit un nouveau verre de brandy et réfléchit. Cette triste histoire pouvait-elle lui servir d'argument afin de rompre le contrat négocié par son père ? Il se promit d'étudier la question avec minutie. Peu désireux de s'attarder auprès d'Oswald, le jeune homme le remercia encore et quitta le club. Il était encore tôt pour se rendre à Harrington Gardens mais peu importe. Il avait besoin de se détendre. Les dernières semaines avaient été rudes.

Mais avant cela, il devait prévenir sa mère.

Il regagna donc la demeure familiale et détailla à Lady Mabelthorpe ce qu'il avait appris. Cette dernière convint qu'un séjour dans le Yorkshire était tout à fait approprié. Richard obtient la garantie qu'elle ait quitté Londres deux jours plus tard. Il rédigea une lettre pour l'intendant et chargea un domestique de la faire parvenir le plus vite possible à West Heslerton.

Puis, il repartit. Par précaution, il modifia à plusieurs reprises son trajet afin de s'assurer qu'il n'était pas suivi.

Comme à son habitude, lorsqu'il arriva à destination, il traversa le parc situé à l'arrière du bâtiment et emprunta l'entrée de service. Il y avait toujours des visiteurs, à n'importe quelle heure du jour et de la nuit.

Un rapide passage dans le grand salon lui permit de choisir son amant pour la nuit à venir. Sans plus tarder, il l'attira dans une chambre privée.

Richard refusa le verre de whisky que l'autre homme lui proposa. Il préférait garder les idées claires. Il s'allongea sur le lit et observa son compagnon se déshabiller devant lui. Il ignorait son nom et l'ignorerait encore le lendemain matin lorsqu'ils se quitteraient. C'était une règle fondamentale de ce club très particulier. Être un inverti dans cette société engluée dans sa pudibonderie pouvait mener à la pendaison. La discrétion était donc essentielle. Vitale, même.

Richard soupçonna l'inconnu de ne pas être un habitué des lieux. Lorsqu'il le rejoignit, entièrement nu, son visage affichait une timidité attrayante.

Le Duc tendit les bras pour l'inviter à se coucher près de lui :

— Venez-vous depuis longtemps ?

— Non, c'est la première fois.

— Oh ! Et...avez-vous déjà couché avec un autre homme ?

— C'était il y a longtemps. Avant que je ne sois chassé de chez moi. Mon père possède plusieurs usines à Manchester. Il m'a surpris un jour avec son assistant.

— Je vois. Quel âge avez-vous ?

— Vingt-trois ans.

— Je vous promets de me montrer doux avec vous. Et si quelque chose ne vous plait pas, je vous adjure de me le signaler. Je suis ici pour passer un moment agréable. Je ne tiens pas à vous traumatiser. Aidez-moi à me dévêtir, je vous prie.

Richard apprécia la fraicheur des mains de son amant sur sa peau. Il peina à retirer son gilet. Et ses mains se mirent à trembler lorsqu'il entreprit de faire glisser son caleçon le long de ses jambes. Sa gêne était touchante. Le jeune homme se promit de se montrer doux. Il n'avait, lui-même, pas envie de brutalité.

Il caressa les boucles brunes de son compagnon et déposa un léger baiser sur ses lèvres. Ses doigts s'égarèrent dans la fine toison qui recouvrait son torse. Son partenaire se montra très réceptif à ses caresses et laissa échapper un gémissement de plaisir. Une chaleur traîtresse s'insinua alors dans son bas-ventre. Richard frémit par anticipation. 

Il s'attarda sur les zones les plus sensibles de son amant avant de le laisser prendre le contrôle de leurs ébats. Ce dernier semblait enfin plus à l'aise et entreprit de combler ses moindres désirs. Il s'offrit ensuite sans réserve à Richard qui se laissa emporter par la passion. Ils firent l'amour à plusieurs reprises au court de la nuit. Toujours avec cette délicatesse qui surprit grandement le Duc. Il avait l'habitude de rendez-vous assez court où chacun des deux partenaires permettait simplement à l'autre d'atteindre la jouissance. Du sexe sans aucun sentiment. Parfois brutal selon les aspirations de ses amants d'un soir.

Avant de sombrer, il jeta un coup d'œil à la silhouette endormie à ses côtés. C'était la première fois qu'il acceptait de partager son lit avec un autre homme.  Richard prit alors réellement conscience de sa solitude.

Au petit matin, la place à ses cotés était vide. Les draps froissés, encore tièdes, prouvaient qu'il n'avait pas imaginé ce qu'il avait vécu cette nuit. Il regretta que l'inconnu soit parti. Il aurait aimé en apprendre plus à son sujet. Et pourquoi pas, convenir d'une autre soirée ensemble. Il chassa cependant l'idée très vite. Il ne pouvait envisager quoi que ce soit. Il n'avait pas ce droit.

Richard décida de s'attarder encore un peu dans le lit. Rien qu'à l'idée d'être confronté au marquis de Glaslyn, il n'avait aucune envie de rentrer chez lui.

Il quitta finalement les lieux vers midi. Dans le parc, il savoura la caresse du soleil sur sa peau et ferma les yeux quelques secondes.

— Que d'efforts pour dissimuler vos travers, mon cher Duc. Qu'en penserait Lord Bradenham à votre avis ?

Le cœur de Richard s'arrêta de battre. Sa respiration s'emballa. Puis, il se retourna. Lentement.  


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Symphonie irlandaise {M/M}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant