La nature. Le grand cycle. Une fête. Un rassemblement. Des lumières. De la chaleur. Du partage. Je n'avais jamais connu ces choses-là. Et pourtant, pourtant, quelque chose clochait. Je suivais Mélodie qui menait bon train notre marche, les yeux rivés vers les lueurs des torches, encore relativement loin devant. Il régnait une atmosphère spéciale et j'avais le sentiment que quelque chose de très solennel était sur le point de se produire. Était-ce le chant d'une foule immense qui venait jusqu'à mes oreilles qui donnait cette impression ? Ou bien l'immensité du paysage qui m'entourait ? Le reflet des myriades de lumières sur la surface du lac contrastait avec l'obscurité croissante du ciel, au-dessus de nous.
Le chant créait comme une vague, un flux et un reflux. Dès qu'une partie des voix s'éteignait, d'autres prenaient le relais, tenant longtemps les notes, dans un air lancinant, presque plaintif. Notre chemin décrivit une courbe pour s'enfoncer dans la roche, empruntant un large tunnel en pente descendante. Deux courbes en angle droit nous firent faire un demi-tour, et nous arrivâmes dans une sorte d'alcôve d'où toute la scène était visible. Nous étions certainement sous le niveau du lac.
Creusées dans la roche, les estrades étaient occupées par les habitants de Grésins, tous parés de robes noires. Mais mon regard s'arrêta plutôt sur l'immense paysage qui me faisait face. Les montagnes à la blancheur hivernale s'étaient un peu rapprochées, barrant l'horizon, déjà écrasantes malgré leur distance. Entre elles et moi se trouvait un grand vide, au fond duquel je distinguai une vallée. Mais ce qui était époustouflant par-dessus tout, c'était la couleur rose-orangée que les cîmes portaient. Mélodie n'avait pas menti. La cérémonie était magnifique : je venais de comprendre qu'à mesure que l'heure avançait, la lumière allait cesser de frapper ces sommets inaccessibles. Progressivement l'obscurité allait gagner, la nuit s'installer. Le chant se fit moins fort.
-C'est bientôt terminé.
La voix de Mélodie me fit un peu sursauter. Comme hypnotisé, je tressaillis et me tournai vers elle. Elle me prit alors doucement la main et me regarda droit dans les yeux. D'un geste adroit, elle releva ma manche et baissa sa main. Je sentis immédiatement quelque chose percer ma peau, mais avant que je ne puisse réagir, une sensation de chaleur commença à se répandre dans mon avant-bras, et il en fut engourdi. Elle retira son aiguille canulée sans me quitter des yeux.
-Mais. Que. Qu'est-ce que tu fais ?
Elle sourit tristement.
-Merci, Raphaël. Je dois partir. Je dois les accompagner, tu comprends ? C'est le seul choix possible. Je ne peux pas rester. Toi, par contre, tu ne peux pas me suivre. Pas encore.
Les derniers mots résonnèrent dans ma tête, qui me sembla étonnamment lourde et embrumée. Je m'aperçus avec horreur que je ne pouvais tout simplement presque plus bouger. Vidal, à l'aide. Père Metney ? Quelqu'un ? Que quelqu'un m'aide ! Je ne pouvais même plus parler.
-Quand tu te réveilleras, tu devras te souvenir. Souviens-toi de moi, Raphaël, s'il-te-plaît. Deviens assez fort pour me retrouver. C'est la chose la plus importante au monde, d'accord ? Souviens-toi.
Le chant s'éteignit en même temps que les derniers rayons du soleil cédaient leur place à un vent froid et une nuit sans lune lugubre. Mais je ne voyais presque plus rien. La voix de Mélodie me parvenait comme lointaine, déformée. La dernière chose que je perçus nettement fut le tintement de son bijou. Ensuite, tout se mélangea. Des voix, des cris, puis plus rien.
*****
Combien de fois devrait-il encore faire ce rêve, il l'ignorait. Un peu transi de froid et engourdi d'inconfort, le jeune homme remua doucement pour s'étirer. Le geste lui arracha une grimace. Quelle heure pouvait-il être ? Il consulta sa montre à gousset. Tout allait bien, il avait encore le temps. Machinalement, son regard se posa sur son arc, sans corde. L'objet n'avait rien d'extraordinaire en apparence, mais c'était un fidèle instrument qui l'accompagnait depuis de nombreuses années maintenant. Le jour approchait où il devrait probablement le faire remplacer.
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Terra Incognita
Science FictionHIC SUNT DRACONES Ici sont les dragons. Au-delà des limites du monde connu, peut-être, là, se trouvent les réponses. Chacun porte ses rêves, son fardeau. Les peuples luttent. Les êtres survivent. Pourquoi sommes-nous ici ? Et cet ailleurs, est-il si...