Prologue - Sang et Devoir

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Quelque part, sous terre

Année 27:61

La lumière était comme un mythe ici-bas, si peu présente, si diffuse, qu'on la croirait inexistante. Aucune ouverture ne laissait transparaître de fragment du ciel, nulle torche ne flamboyait d'un éclat chancelant.Seul un léger miroitement se laissait deviner, projetant sur les murs de pierres des ombres mouvantes.

Dans un grand bruit, des mains agrippèrent soudain la rangée de barreaux métalliques délimitant le véritable but de ce lieu : une cellule de prison. Elles furent suivies de peu par un visage blafard, exténué, mais volontaire.

- Qu'est-ce que vous recherchez ? Quelle cause servez-vous ? Ne voyez-vous pasque rien de tout cela n'est écrit d'avance ? Il est encore temps pour vous de faire le bon choix !

Un frisson de peur perçait à travers ces suppliques, comme si le détenu savait au fond, que tout était déjà perdu. Pour toute réponse, il n'eut droit qu'à un vague mouvement de l'autre côté de la cage, un mouvement et un éclat métallique alors que son persécuteur se retournait vers lui dans un silence troublant.

L'individu était fin, presque frêle, et la seule chose notable par rapport à lui, ou plutôt, par rapport à elle, était le halo luminescent qui en émanait et qui était de toute évidence à l'origine du peu d'illumination du lieu.

- Vous avez déjà perdu, nous le savons toutes les deux ! Arrêtez cette folie tant qu'il en est encore temps ! Qu'espérez-vous donc encore accomplir ?

Un ricanement échappa à la geôlière pour toute réaction, ricanement qui escalada rapidement jusqu'à un rire trahissant un mélange d'amusement, de tristesse et de colère le tout mêlé à la graine de folie que la destruction apporte infailliblement à ceux qui restent debout après son passage.

Aussi vite qu'il avait commencé, le son s'arrêta et l'instant d'après, la femme attrapait violemment l'une des mains toujours agrippée au métal, soutirant une exclamation de surprise au captif. Elle la tira brutalement en avant, causant le visage de ce dernier à venir douloureusement heurter la grille, un visage rendu pâle par la fatigue et la mal-nutrition, mais dont les yeux brillaient encore d'un éclat bien présent.

- Qui pensez-vous donc être pour décider de ce qui est bon ou non ? Pour qui vous prenez-vous pour vous octroyer le droit de juger de toutes choses ? Croyez-vous que le monde soit noir et blanc ? Qu'il n'est composé que d'alliés et d'adversaires ? Vous croyez peut-être l'avoir sauvé mais rien n'est aussi loin de la vérité...

- Vous osez prétendre avoir les intérêts du monde à cœur ? rétorqua la prisonnière, remise de sa surprise. Vous et votre maître n'avez fait que le mettre en péril, vous avez répandu la guerre et la mort ici-bas ! Vous n'avez récolté que ce que vous méritiez !

Un soupir échappa à la gardienne, et elle lâcha la main de sa victime, le calme semblant finalement revenir sur ses traits une bonne fois pour toute. Elle se détourna et se dirigea vers le centre du souterrain, une table massive en pierre sur laquelle reposaient divers objets plus étranges les uns que les autres.

- Nous nous ressemblons étonnamment toutes les deux, fit-elle remarquer tandis que ses mains s'attelaient à une tâche invisible pour l'autre. Deux personnes croyant dur comme fer dans la voie qu'elles se sont choisis. Deux soldats qui n'ont de plus grand souhait que de ne plus avoir à l'être. Et pourtant quelque chose nous sépare plus que tout, n'est-ce-pas ?

- Vous délirez, répliqua simplement son interlocutrice dans un souffle, toujours masquée par l'ombre.

La silhouette lumineuse sembla ne pas en prendre rigueur, elle se retourna finalement de nouveau, le poing serré autour d'une dague à la lame bleutée. Le peu de son visage devinable malgré la pénombre n'exprimant plus que de la tristesse.

- Moi, je ne prends aucun plaisir dans ce que je fais. N'est-ce-pas là le signe que je suis cependant certaine que cela est nécessaire ? elle secouala tête, désabusée. Peu importe après tout, je sais que rien de ce que je pourrais dire ne saurait vous convaincre. Je vous plains au fond, utilisée sans même vous en être rendu compte, vous sacrifiant pour une cause en laquelle vous croyez, mais qu'en réalité vous n'avez jamais servie.

- N'essayez pas de me faire croire que je suis la mauvaise personne ici ! Je vous ai vu mener des armées contre des villes et des villages ! Vous êtes son commandant le plus fidèle, sa conseillère ! Toutes les misères endurées par les Mondes vous incombent autant qu'à lui !

L'autre inclina légèrement la tête, semblant reconnaître la véracité de ces propos.

- Et vous pouvez être fière de vous-même aussi. Après tout vous êtes celle qui a rendu tous ces sacrifices inutiles.

Un bref silence accueillit ces propos avant que la voix ne reprenne dans un souffle.

- Mais ce n'est pas fini, il y a encore un moyen...

Le flamboiement de l'aura de la femme s'intensifia comme jamais auparavant, révélant sa silhouette toute entière. Son bras gauche tendu vers la prisonnière s'enveloppa d'une orbe dorée, alors que sa cible se sentit soulevée dans les airs et portée debout, jusqu'à une infime distance de la barrière.

- Il est déjà comme mort Khajni ! Vous ne pouvez rien faire seule ! Quelque soit la partie de l'histoire que vous voulez changer, il est trop tard pour ça ! Si vous tenez tant à arranger les choses, travaillez avec nous ! Dites-nous donc toutes ces choses que nous ignorons !

La détresse avait définitivement refermé son emprise sur l'esprit de la captive, le moindre frémissement de sa voix en témoignait. Ainsi que les tremblements incontrôlables de son corps, que même la magie de son ennemie ne semblait pas pouvoir stopper. Ennemie qui secoua la tête amèrement.

- J'ai une seule chose à vous dire : je crois en ma cause plus qu'à toute autre chose au monde. Je lui donnerai tout ce dont elle a besoin pour survivre, qu'il s'agisse de votre vie...

Trois choses simultanées se passèrent alors : le dorée entourant la main de la magicienne tourna à un noir d'ébène, sa main droite tenant toujours fermement la dague étrange se leva devant elle et elle finit sa phrase dans un murmure.

- ... ou de la mienne.

La femme retourna la dague contre elle-même, la plongeant sans l'ombre d'une hésitation dans sa propre poitrine.

Deux cris de douleur retentirent à l'unisson dans la caverne désormais plongée dans l'obscurité.

S'ensuivit un silence de mort.

D'Ombres et de TénèbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant