Retour à Freeridge

335 14 0
                                    

Anita traînait des pieds dans le quartier, sous le soleil caniculaire. Du revers de la main, elle essuya la sueur qui dégoulinait de son front. Et la robe noire qu’elle portait n’arrangeait rien à son sentiment d’étouffement. Elle réajusta néanmoins son vêtement, s’assurant que les manches couvraient bien ses épaules. Cela faisait un moment qu’elle ne s’était pas rendu chez elle. Du moins, Anita ne pensait pas devoir rentrer aussi tôt à Freeridge. Encore moins dans ces circonstances. Arrivée devant la maison familiale, elle serrait entre ses mains moites les clés, pesant le pour ou le contre. Franchir le pas de la porte ne rendrait la situation que plus réelle.

 Abuelito est mort.

Une crise cardiaque avait suffi à anéantir le monde d’Anita. Felipe n’était pas un grand sportif. A cela s’ajoutait une addiction au tabac et un fort penchant pour la nourriture grasse et sucrée. Anita avait essayé de le prévenir et essayait tant bien que mal de rééquilibrer ses plats, mais Felipe n’en faisait qu’à sa tête : « Si je dois mourir demain, autant que je meure heureux, en mangeant ce qu’il me plaît ! ». Finalement, le grand-père était mort seul.

En entrant dans le salon, tout le monde se tourna vers elle. Des hommes et des femmes de tout âge, habillés de noir. Des personnes venant de la famille, des amis. Tous connaissaient et aimaient son grand-père. Anita sentit les regards de pitié qu’ils lançaient vers elle et ce fût de trop. Elle détestait pleurer en public. Et lorsqu’elle vit ce visage familier arriver vers elle, elle se laissa aller. Les larmes qu’elle retenait depuis l’annonce de la nouvelle coulèrent. Et elle se détestait pour cet acte de faiblesse. Son cousin la prit dans ses bras, en essayant de la calmer, Anita s’accrochant à lui comme à une bouée de sauvetage. Dans un sens, il l’avait toujours été. Mario l’entraîna dans la cuisine, à l’écart des personnes un peu trop curieuse à son goût. Il lui apporta alors un verre d’eau et lui tendit un mouchoir.

- J’ai du mal à réaliser ce qu’il se passe… ça a l’air tellement irréel, dit la jeune fille avant de se moucher.

- Je m’attends encore à ce qu’il débarque dans la cuisine et qu’il me crie dessus parce que j’ai encore oublié d’enlever mes chaussures.

Anita sourit à sa remarque. D’autant plus que ses chaussures étaient encore à ses pieds.

- Comment tu te sens ? demanda-t-il en serrant la main de sa cousine dans la sienne.

Anita baissa la tête et laissa ses longs cheveux recouvrir son visage. Elle craignait de laisser les larmes couler une fois de plus. Comment lui dire qu’en perdant son grand-père, elle avait perdu son monde. Felipe l’avait élevée lorsque sa mère l’avait laissée. Et maintenant, elle se retrouvait toute seule.

- Laisse tomber, question stupide, essaya de se rattraper Mario en voyant les épaules de sa cousine se soulever hystériquement, preuve qu'elle se retenait encore de pleurer.

- C'est trop dur !

- Je sais, répondit Mario en caressant son dos, espérant ainsi pouvoir la calmer.

- Maman te propose de dormir à la maison ce soir, rajouta Mario en jetant un coup d’œil à son téléphone, elle pense que tu ne devrais pas rester ici toute seule.

- Elle a raison.

La porte de la cuisine s’ouvrit laissant entrer le frère de Mario. Ruby se dirigea rapidement vers son frère, sans prendre le temps de saluer sa cousine et lui chuchota quelque chose. Les yeux de Mario s’agrandirent, mais avant qu’il puisse demander à Anita de le suivre, des cris venant du salon leur parvinrent.

- C’était mon père ! J’ai autant le droit que toi d’être là, hurla la voix.

- Paula, calmate por favor, supplia une autre personne.

- Qu’elle s’en aille, clama une voix masculine.

Ruby essaya d’empêcher Anita de regarder d’où venait les cris, mais elle reconnu la voix. Le cœur battant, elle s’approcha de l’embrasure de la porte de la cuisine, et vit qui était en cause de tout ce raffut.

- Paula, marmonna-t-elle.

La jeune femme était partagée entre le soulagement de la revoir et la haine. Comment osait-elle se pointer ici, après tant d'années d’absence, sans aucunes nouvelles.

- Nita, sanglota la mère. Mon bébé, que tu as grandi…

Paula s’approcha de sa fille, et l’embrassa, mais Anita ne répondit pas à l’étreinte de sa mère.

-Por favor mija, pas ici, supplia sa grande-tante, craignant un énième scandale.

Elle l’entraîna plus loin, laissant Anita déconcertée. Lorsque Mario toucha son épaule, la jeune femme revint à la réalité. Elle passa ses mains sur ses yeux sans délicatesse et chassa les larmes naissantes. Sans un regard en arrière, elle traversa la salle à manger et claqua la porte d’entrée derrière elle, fuyant le désastre ambulant qu’était sa mère.

Anita - OMBOù les histoires vivent. Découvrez maintenant