PARTIE 1 - ELDIA

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Je n'en voyais toujours pas le bout, cela m'effrayait tout autant que ça m'émerveillait. Des bateaux arrivaient au loin, ils devraient être là dans une dizaine de minutes. Je tirais sur ma cigarette avant d'en recracher la fumée. Cette journée allait être belle, je le ressentais au fond de moi. Le soleil s'installait de plus en plus haut dans le ciel sans que son éclat ne soit dérangé par le moindre nuage. Le mouvement constant de l'eau ne permettait pas aux navires accostés près du nôtre de rester complètement immobiles. Je trouvais cela apaisant, comme si nous étions bercés naturellement. Tout était parfait en ces lieux, rien aux alentours si ce n'était de la paisibilité. Les oiseaux volaient haut et de petits poissons bondissaient hors de l'eau. Une légère brise vint caresser mon visage et faire voler mes cheveux. J'écrasais mon mégot dans mon cendrier de poche et levais le visage aussi haut que je le pouvais. Je laissais de l'air s'évacuer de mes poumons, ç'aurait été une belle journée pour partir à la découverte du monde.

- Pieck ! Tu viens ? m'interpela une voix masculine.

Je remettais ma tête en position normale et regardais une dernière fois à l'horizon. Mes mains vinrent se fourrer dans mes poches et je me retournais. Après avoir scruté son visage une courte seconde, j'entamais mon trajet en direction de l'intérieur et plus précisément, des cuisines.

- Allons-y Pokko, on ne va quand même pas faire attendre tous ces affamés, riais-je.

Une majorité de personnes pourrait penser que la vie en tant que cuisinier sur un bateau en pleine mer pouvait s'avérer contraignante, et c'était probablement le cas. Mais je n'y voyais aucun inconvénient, bien au contraire, je ressentais que j'étais à ma place ici. Celui qui avait eu l'idée de ce bateau-restaurant était le dénommé Sieg Jäger. Tous ceux qui travaillaient ici lui devaient beaucoup. Il avait hérité ce navire de son père et nous avait tendu la main, un par un, pour que l'on puisse s'en sortir. Le détail plus important dans notre situation, et auquel je ne pensais jamais, résidait dans le fait que nous étions tous en fuite.

Nous faisions partis d'un peuple opprimé dont l'arrestation avait été ordonné une dizaine d'années plus tôt dans le pays où nous vivions. Sieg n'avait pas voulu s'y soumettre et s'était enfui avec le moyen de transport le moins discret que j'avais jamais vu. Cette bicoque flottante était énorme, et il y avait accueilli tous ceux qui refusaient de vivre à part dans des camps. Passionné de cuisine, il avait tout retapé pour faire du rez-de-chaussée un espace de restauration, et du premier étage une immense cuisine qui nous permettait de travailler au mieux, le deuxième, et dernier, étage destiné à être notre lieu de vie. La majorité de nos clients se fichait bien de nos origines, du moment que la cuisine était bonne alors ils s'asseyaient avec plaisir à nos tables. Nous retrouver au beau milieu de nulle part mais être pourtant recherchés à travers les mers pour nos mets, c'en était même gratifiant.

Nos journées étaient parfois mouvementées, mais ce quotidien nous plaisait. Une deuxième chance nous avait été offerte par Sieg, et nous la saisissions avec joie. Ce grand macaque avait eu le culot de nommer cet endroit « ELDIA », à l'effigie de notre peuple. Il nous avait souvent répété que nous n'avions pas à avoir honte de qui nous étions, que nous n'avions pas à nous cacher. Alors nous vivions la tête haute, et quand les ennuis frappaient à notre porte, nous l'ouvrions sans hésiter pour les confronter.

Bertholdt, un grand brun plutôt calme, installait de plus en plus de monde dans la salle. Nous avions tous décidé qu'il serait le meilleur pour ce poste. Je ne saurais expliquer pourquoi, mais c'était très agréable d'être en sa compagnie, alors tout le monde était sûr que ce serait le plus adéquat pour mettre tous ces gens à l'aise.

Je montais les escaliers disposés en plein milieu de la pièce et, une fois en cuisine, j'enfilais mon tablier et me lavais les mains avant de me mettre au travail. Le petit Marcel avait déjà commencé à s'agiter en concoctant tout un tas d'entrée qu'Annie ne perdit pas de temps à aller servir. La blonde n'était pas très bavarde, mais elle était sacrément efficace et rapide. Non loin de moi, Reiner fournissait le travail d'au moins cinq hommes. Originellement, ce n'était pas un fin cuisinier comme pouvaient l'être Sieg ou encore Marcel, mais il s'était tellement exercé qu'on croirait que ça lui était inné.

PARTIE 1 - ELDIAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant