4.Un silence assourdissant

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Eddy somnolait.

Fatim était plongée dans la lecture d'un roman de gare trouvé dans le minuscule relai H situé dans le hall principal de l'hôpital, et elle corrigeait les erreurs de style avec un crayon rouge en fronçant les sourcils. De temps à autre, elle remettait Eddy en place avant qu'il ne finisse par baver sur son épaule, tout en le couvant d'un regard attendri qu'elle prétendrait ne jamais avoir ne fut-ce qu'envisagé si on la prenait sur le fait. En réalité...Elle avait pris le pied de sa vie hier soir. Mais si elle le lui disait, il paraderait comme un paon a l'IML et elle serait obligée de le trucider, ou de l'enfermer dans un des frigos. Voire les deux.

D'un regard distrait, elle regarda la grosse pendule impersonnelle qui trônait dans la salle d'attente. Cela faisait déjà presque cinq heures que Balthazar était en salle d'opération. Elle ne pouvait pas se convaincre que cela voulait dire qu'il était au moins toujours en vie, mais plutôt que cette salope de Maya avait fait tellement de dégâts qu'il leur fallait longtemps pour réparer ses blessures. Une carotide déchirée, ça demande pas tant de temps que ça.

Fatim se laissa envahir par toutes ses connaissances de légiste et envisagea toutes les issues possibles avant de triompher contre son esprit, et de le faire taire avec les enquêtes de l'inspecteur Durand qui était sûrement le plus mauvais enquêteur de roman. C'était même dingue qu'ils publient pareilles inepties. Faites votre boulot, les auteurs, mince, renseignez-vous. Et évitez de nous écrire des trucs tellement soporifiques qu'ils doivent s'en servir comme anesthésie là-bas.

Elle enviait le sommeil facile d'Eddy, mais, a dire vrai, il était dans un tel état de panique qu'elle préférait le savoir endormi. Elle ne savait que trop bien l'effet que le désespoir avait sur lui, et elle n'avait pas la capacité morale pour le rassurer. L'un comme l'autre avaient bien trop bu la veille, et la gueule de bois était déjà en train de s'auto-qualifier comme spectaculaire. Elle en était à son deuxième litre d'eau histoire de contrer les effets et la migraine, mais il aurait fallut un bon gros petit déjeuner bien gras pour vraiment la mettre au tapis, et tout ce que la cantine de l'hôpital proposait en ce dimanche matin tenait soit de la diététique chiante, soit de la substance extra-terrestre. Et elle, ce n'était pas du tout ce qu'elle voulait. Plutôt du bon gras bien saturé, de la bonne grosse calorie, et une sieste de cinq heures, que tu ne sais plus quelle année on est quand tu te réveilles.

A la place, tragédie, salle d'attente d'hôpital, urgences réa, et la terreur indicible d'avoir perdu son boss, son mentor, et son ami. Encore. Il y en avait, du sang, sur la robe du capitaine, ça ne laissait vraiment rien entrevoir de bon ou de positif.

Et la pendule qui continuait sa course inexorable, et cet abruti de Durand qui n'aurait pas vu un foutu cadavre si il était dans son canapé, et Eddy qui ronflait sur son épaule, et cette grosse aiguille qui faisait un bruit digne d'une guillotine à chaque minute passée, et Durand qui se prenait une balle dans l'épaule au stand de tir, ce putain d'incapable, et Eddy qui continuait de dormir comme un bébé, et il lui semblait qu'elle était coincée dans un cercle vicieux qui semblait destiné à la faire tourner chèvre.

Et les minutes passaient.

Et le silence s'installait.

Et ses espoirs s'évanouissaient.

Mais comment Raphaël avait-il pu tomber dans les filets de pareille cinglée ? Et comment est-ce que ni elle, ni Eddy n'avaient-ils pu rien détecter ? Peut-être parce que Balthazar semblait vraiment heureux. Peut-être parce que quand on a vu quelqu'un qu'on aime profondément se consumer et s'auto-détruire pendant des années, alors on ne pose pas trop trop de questions quand on le voit rire et sourire et aimer ? Et puis, elle devait bien avouer que Maya était une sacrée comédienne. Jamais elle n'aurai soupçonné la moindre trace de folie chez elle, alors que, visiblement, c'était la pire des maboules.

Reviens-moi.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant