Reviens-moi.

7.Sacrifice.

Dans l'esprit d'Hélène, la minuscule vibration dans le miroir équivalait à un tsunami d'espoir. Elle la senti dans ses doigts, très nette, impossible d'en douter. Et, aussi déraisonnable que cela lui paraisse, elle, la flic, l'habituée des conclusions tirées à partir de preuves, de faits, de tangible et d'empirique...Elle n'avait pas l'ombre d'un doute sur ce qui venait de générer ce mouvement, si petit fût-il, mais de l'autre côté, avait-il compris ?

Elle plaqua ses mains à plat sur la surface glacée, et ferma les yeux un long moment.

Elle était du côté de la science.

Elle était du côté des choses qui se prouvent avant de les déployer.

Elle était du côté de ce qui se tient, ce qui ne lance aucun défi à la morale, ou à la croyance en quelque chose qui rend les lignes de la réalité moins nettes, moins palpables, moins lisses.

Elle était du côté des lignes qui ne peuvent être que droites, perpendiculaires ou parallèles, et rien au milieu.

Mais si cette expérience lui avait appris quelque chose, c'était que tout ça, en définitive, c'était de belles conneries. On lui avait martelé à l'école, celle de la république et celle de la police, qu'elle ne pouvait divaguer entre des notions qu'on les forçait à considérer comme unique raison. On avait créé des cases pour elle et ses semblables, et on les avait forcés dedans, quitte à rogner un peu ici et là pour que ça rentre. Et elle ne se trouvait pas d'excuses, elle avait adoré suivre le chemin tranquille tout tracé, c'était confortable, rassurant. Elle avait une part de responsabilité, et elle ne la reniait pas. C'était là, ancré en elle. Mais elle constatait surtout les dégâts que cette fermeture d'esprit institutionnelle avaient pu créer, et comme il lui semblait enfin comprendre une dimension de sa propre existence qui lui avait échappé jusque là.

Il y avait quelque chose de doux dans cette soudaine prise de conscience. Quelque chose qui l'enveloppait comme un plaid en polaire quand il pleut dehors, que l'hiver fait rage, et qu'on a besoin de se protéger du froid en le remontant jusqu'aux épaules et en s'emmitouflant dedans.

Elle se concentra un long moment, réunissant toutes ses forces, toutes ses croyances fracassées et remplacées par quelque chose de plus grand, de plus fort, de meilleur, comme si elle prélevait dans son essence même une boule d'énergie pure, invisible pour les sceptiques mais aveuglante de beauté pour les autres.

Et cette fois, ce ne fut pas une vague vibration. Ce fut une onde qui causa une distorsion profonde de la matière, comme quand on fait des ricochets sur un lac paisible. Elle n'eut pas besoin de regarder, elle l'avait senti en elle.

De l'autre côté de la vitre, Raphaël était resté comme deux ronds de flanc, refusant d'abord d'écouter la petite voix qui hurlait dans ses tympans. Si la science était chez Hélène une religion, chez lui, c'était la fabrique même de son âme. Alors des miroirs qui font des vagues, il ne se souvenait en avoir vu qu'une fois ou deux après des belles soirées de beuverie à la fac. Ce genre de délire demandait au moins deux grammes d'alcool dans le sang. Et là...C'était p't'être pas une histoire d'alcool, mais son cerveau était en train de faire des trucs qui tendaient visiblement à le convaincre soit qu'il était mort-et ça avait quand même pas mal de sens-soit que son taux d'oxygénation était en chute libre-ouais, ça aussi ça collait.

Il était quand même bien retourné par ce qu'il venait de voir. Plutôt que de continuer à se triturer les méninges, il posa ses mains à plat contre la surface, et attendit.

Il n'eut pas longtemps à le faire. Hélène avait compris comment mobiliser cette partie d'elle qui était née avec Raphaël et se battait avec la force de toutes les armées pour ne pas disparaître, et à peine avait-il placé ses paumes contre la vitre que la vague vint caresser ses doigts, plus fort encore que la première.