12. Les bougies

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J'arrive sur mes trente ans. J'ai une vie active, un homme avec qui j'espère me marier, un bon travail. Il n'y a pas longtemps, mon fiancé m'a fait remarquer que je ne lui parlais jamais de mon enfance avant mes treize ans. J'ai eu comme un déclic. Il avait raison. Pourtant, il n'y avait aucune mauvaise volonté de ma part, ni aucune honte qui me pousserait à cacher mon passé. Je l'avais simplement occulté. Quand j'ai réalisé ça, que j'avais moi-même muré cette partie de moi, ce passé, tout m'est revenu. Et aujourd'hui, je regrette d'avoir fouiné dans ce recoin de mon cerveau.

J'ai eu une famille atypique. Je ne sais pas vraiment comment vous raconter tout ça, alors je vais le faire en suivant l'ordre dans lequel mes souvenirs me sont revenus. Je pense que vous parler de ma famille est déjà un bon début.

Commençons par ma mère. Persuadée d'avoir des dons de médium et de guérisseuse, elle a été condamnée à plusieurs années de prison pour la mort de mon petit frère Joseph, après avoir refusé de l'emmener à l'hôpital suite à une importante brûlure lors d'un barbecue. Avec l'accord de mon père, dont je parlerai plus tard, elle a préféré soigner Joseph à l'aide de ses " dons " plutôt que d'appeler les pompiers. C'est ma tante qui, au bout de plusieurs semaines et suite à mon appel, l'a emmené d'urgence à l'hôpital. Sa blessure s'était infectée et les docteurs ont dû amputer sa jambe gauche, mais il était bien trop tard. Mon frère Joseph est mort à l'âge de dix ans. J'ai ensuite été placée chez ma grand-mère maternelle avec l'interdiction pour mes parents de me récupérer.

Mon père avait une confiance aveugle en ma mère et ses soi-disant dons, il ne la remettait jamais en question. Ce n'était pas un homme très intelligent, elle le dominait en quelque sorte. Aussi, il détournait le regard lorsqu'elle nous mettait en danger, mon frère et moi, volontairement ou pas. Il a fini ses jours seul, dans sa vieille et sombre maison de la campagne bretonne, à regretter sa vie et ce qu'il en avait fait.

Voilà dans quel environnement j'ai grandi. Mais malgré tout, ce ne sont pas ces événements qui m'ont fait oublier les trois-quarts de mon enfance.

Pour tout dire, je n'avais jamais vu ma grand-mère avant d'être placée chez elle. Ma mère ne parlait jamais d'elle et à chaque fois que l'on évoquait mon grand-père, elle entrait dans des crises d'hystérie que seul mon père parvenait à calmer. Ma mamie s'appelait Louise. C'était quelqu'un de calme, qui ne parlait jamais pour ne rien dire. Elle vivait seule dans la forêt près de Rocroi, dans les Ardennes, mais était née et avait grandi en Bretagne. Elle habitait une petite maison de bois très rustique. C'était une femme indépendante, qui s'occupait de son logis avec vigueur. Elle savait se débrouiller et se servait de sa voiture une fois par mois pour aller faire ses courses en ville.

Comme ma mère, et je pense que c'est d'elle qu'elle tenait ça, ma grand-mère était versée dans l'ésotérisme. J'avais remarqué certains livres dans sa bibliothèque qui intriguaient la petite fille que j'étais. D'épais ouvrages reliés de cuir, aux noms indéchiffrables pour moi. Mais ce n'était pas une sorcière, disons qu'elle pratiquait plus la magie à la façon des anciens du village, ceux qui vivent ou ont vécu à la campagne sauront de quoi je parle. C'était plus de la superstition que de la véritable magie.

Je me souviens que dans son salon, il y avait un petit guéridon que mamie Louise avait transformé en autel à la mémoire de papy. Je ne l'ai jamais connu car il est mort avant ma naissance. Elle avait disposé cinq bougies autour d'un cadre contenant sa photo. J'avais interdiction de m'en approcher, et de souffler les bougies pour quelque raison. Ma grand-mère prenait également soin de ne jamais créer de courants d'air dans la maison. On n'ouvrait jamais une porte ou une fenêtre si une autre l'était déjà.

Quand le soleil se couchait, mamie déposait un plat recouvert d'une serviette blanche sur le rebord de la fenêtre, à l'extérieur de la maison. Avec tout l'amour que je lui porte encore aujourd'hui, je dois admettre que vivre avec elle ne me plaisait pas. Il y avait constamment une ambiance lourde de secrets, de choses non dites, de regards inquiétants, d'interdits. Mamie Louise ne parlait pas souvent et restait la plupart du temps dans le salon à tricoter. Quant à moi, je passais le temps en grattant le bout rouge des allumettes pour ne garder que le bois et tenter d'en faire des châteaux. Je m'amusais comme je le pouvais.

Chair de poule 2 [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant