3. Le dernier train

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C'était un soir comme les autres. Pluvieux, morne, écrasant par le poids de sa routine. Je travaillais dans un restaurant, j'assurais le service du soir. C'était le seul établissement qui avait accepté de me prendre, et étant donné mon absence de diplômes et mes expériences professionnelles inexistantes, je n'avais pas le luxe de choisir mes horaires, j'étais à la merci de mon patron.

Je venais de finir de ranger et je m'apprêtais à partir, essayant de me sentir soulagée d'avoir terminé pour la journée, mais n'y arrivant pas. Ce travail était aussi vide de sens et de but que ma vie, et en dehors d'une profonde lassitude, je ne parvenais pas à ressentir quoi que ce soit d'autre. Avec un soupir, j'ai baissé le rideau de fer et verrouillé le cadenas, avant de m'engager dans la rue sinistre et mal éclairée en direction de la gare. Il était presque une heure du matin, j'avais fini beaucoup plus tard que prévu à cause de ma collègue qui nous avait annoncé à la dernière minute qu'elle était malade et qu'elle ne pourrait pas être là. Le dernier train était probablement parti depuis longtemps, mais ça ne m'a pas empêchée de me diriger malgré tout vers la gare, dans l'espoir de ne pas avoir à payer un taxi hors de prix avec mes maigres revenus.

Perdue dans mes pensées, je n'avais pas remarqué que j'étais arrivée dans une partie de la rue qui n'était pas éclairée. Prenant soudainement conscience des ténèbres et du silence qui m'entouraient, mon cœur s'est accéléré. J'ai serré mon sac contre moi et je me suis hâtée dans la rue, l'air humide me collant à la peau et les flaques d'eau m'éclaboussant les mollets.

Quand je suis enfin arrivée à la gare, elle était déserte. Il y avait quelque chose d'étrangement inquiétant dans le fait de voir cet immense espace, conçu pour accueillir des centaines de personnes, vide de toute vie. Je crois bien que c'était la première fois que j'avais l'occasion de voir pareil spectacle, et c'était très perturbant. Les allées désertes et les guichets vides donnaient l'impression de se remplir dès que je regardais ailleurs, et dans le silence assourdissant, j'avais l'impression d'entendre un vague brouhaha et du mouvement, rémanence de la vie qui grouillait entre ces murs en journée.

Pas très rassurée, je me suis dirigée vers l'écran d'affichage le plus proche, avant de m'apercevoir une fois à quelques mètres de lui qu'il ne fonctionnait pas. C'était l'une des plus grandes gares de la ville, et ces stupides écrans ne fonctionnaient qu'une fois sur deux. J'ai regardé de nouveau autour de moi, cette peur vague et diffuse ne me quittant pas, et j'ai décidé sans grand espoir d'aller directement au quai où s'arrêtait mon train habituel.

Mes pas résonnaient autour de moi, assourdissants dans le silence. À ma grande surprise, une fois arrivée au quai, j'ai vu qu'un train était stationné, et l'écran – qui fonctionnait, cette fois – indiquait « Départ imminent ». J'ai jeté un coup d'œil au train, toutes les portières étaient ouvertes et il n'y avait aucune lumière à l'intérieur, elles étaient toutes éteintes. C'était sûrement une erreur d'affichage, ce train n'avait l'air d'aller nulle part. On aurait dit les trains stationnés au terminus pour la nuit.

Dubitative, je me suis tout de même avancée vers l'une des portes pour voir s'il y avait du monde à l'intérieur. J'ai passé la tête dans la voiture. Les sièges avaient l'air vides, mais j'avais du mal à voir à cause de l'obscurité qui régnait. J'ai mis un pied à l'intérieur pour avoir une meilleure vue, et au même moment, le train a soudainement pris vie. Les lumières se sont allumées, le ronronnement du moteur s'est fait entendre, et la sonnerie indiquant la fermeture imminente des portes n'a pas tardé à suivre. Prise au dépourvu, j'ai sauté à l'intérieur in extremis, une fraction de seconde avant que les portes ne se referment sur moi.

J'espère que je suis dans le bon train, j'ai pensé en regardant la gare défiler à travers les vitres des portes closes.

Je me suis tournée vers les sièges pour aller m'asseoir, mais ce que j'ai vu a failli m'arracher un cri de terreur, que je me suis empressée de réprimer.

Chair de poule 2 [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant