Marcher dans les rues en cette matinée me fait plutôt du bien. L'air est encore presque frais. Par cela je veux dire qu'il est moins étouffant que le reste de la journée dans cette plaine désertique. Il n'y a presque pas une ombre qui bouge dans la Vallée de la Force en cette heure matinale. Une ambiance bien loin d'être déplaisante. Surtout que j'essaye vraiment de mettre de l'ordre dans mes pensées. Un trottinement feutré me parvient. Du coin de l'œil, j'aperçois la silhouette d'un cavalier mag'har au loin. Un gars de chez moi. Génial, moi qui pensais rentrer discrètement. Du haut de son loup de monte, le guerrier me fixe d'un air sobre, presque dédaigneux. Je ne m'arrête pas, pour faire comme si je n'avais pas vu ce massif amas de muscles et de fourrure qui barre presque la route.
Je l'entends m'interpeller avec insistance, probablement quelque peu courroucé par ma façon fort peu subtile de l'ignorer :" Forgeron... hey, ho, le pale !... Kirh !"
Je suis donc bien contraint de m'arrêter.
"Throm'kar, rétorque-je, je suis pressé, l'ami.
- Votre fils vous cherche, me lance-t-il.
- Eh, ça vaut bien la peine de m'arrêter pour ça !"
L'orc avance d'un air menaçant dans ma direction. Les Chanteguerres ont beau gonfler le poitrail comme des sabots fourchus, ils ne me font pas peur. Ce sont les premiers à venir pleurnicher dans ma forge dès que leur hache fétiche présente la moindre fêlure... Alors que cette armoire me toise dans un mutisme glacial, je lui déclare sobrement :
" Puisque ça vous amuse de jouer le maître des postes de si bon matin, eh, bien, dites-lui que je rapporte le déjeuner. Il n'aura qu'à repenser à son comportement de la veille.
- C'est un orc des plus fier. C'est vous qui jetez le déshonneur sur ses ancêtres, pas lui." Me rétorque-t-il.
Je l'entends claquer du talon sur les flancs de son loup. Il ne me reste plus qu'à contempler, pantois mais soulagé, l'arrière-train de l'animal qui s'éloigne. Voilà exactement le genre de rencontre amère qui me rappelle à tel point je suis ravi d'avoir enfin quitté Draenor, en fait. Même si cela implique d'avoir également laissé mon modeste domaine aux mains des inquisiteurs sancteforges qui se sont sûrement empressés de tout détruire et saccager, comme à leur habitude... Mais le climat austère et martial imposé par Hurlenfer, ça, je n'en pouvais plus !
Orgimmar. Cette cité poussiéreuse respire quelque chose proche du renouveau, avec le goût serein d'une potentielle liberté, juste à portée de main. L'avenir me dira si j'ai raison. Elle porte le nom d'un Rochenoire, cette cité. On ne sait jamais, ça pourrait peut-être me porter chance.
*
Ah, j'ai mal au crâne. Et puis, c'est toujours pareil. La file d'attente chez le boucher est interminable. En même temps, je ne comprends pas comment une ville aussi grande ne peut comprendre qu'un seul commerce de ce type, compte tenu du nombre d'orcs au mètre carré qui vivent entre ses murs ! Si je m'y connaissais un tant soit peu en cuisine, je pense que j'aurais ouvert une échoppe. En plus, avec mes compétences de forgeron, j'aurais les meilleurs hachoirs du coin. Et cela irait certainement un peu plus vite. Marrog, le maître cuisinier, a l'air d'un gars fort sympathique, le mot attentionné et la petite anecdote pour chacun de ses clients, mais si son couteau et celui de ses apprentis étaient moins émoussés, il n'aurait pas besoin de bavarder autant pour couvrir le bruit de cisaille d'os. Une ombre se dessine soudainement à mes côtés, indiquant l'arrivée d'un nouveau client sur le pas de la porte.
"Throm'kar !" Lance celui-ci.
À son accent, et à sa façon de prononcer le "r", pas de doute possible, il est de chez moi, celui-ci. C'est un Rochenoire, c'est certain ! On n'est plus très nombreux, de nos jours...
Lorsque je me retourne pour lui adresser une salutation typique. Quelle n'est pas ma surprise de me retrouver face à face avec un orc vert, comme le sont ceux de ce monde. En vrai, non, c'est plus que de la simple surprise : si l'on omet la couleur de sa peau, ce gaillard me ressemble un peu. Car il n'y a eu qu'un seul rochenoire petit aux yeux clairs en Draenor sur plusieurs générations, et normalement, c'est moi... Le cuisinier aussi dévisage le nouveau venu, mais avec un éclat de dépit et de dégoût mal caché. Bien qu'il semble être un client habitué des lieux, Marrog n'a pas l'air aussi enclin à l'accueillir de manière enjouée. Pire encore, lui tournant brutalement le dos, il claque à plusieurs reprises la lame de son couteau dans l'échine du sanglier déjà bien entamé, faisant mine d'être soudain trop occupé pour faire la conversation."Trom'KA, déclare-t-il finalement, qu'est-ce qu'il te faut ?
- Cinq côtelettes, deux gigots et trois cuissots de sanglier, s'il-te-plait.
- Tu es après le mag'har, rétorque-t-il ensuite en me désignant de la pointe de son couteau, attends ton tour.
- C'est pour le repas de ce soir, j'ai tout mon temps. Je dois aussi chercher un gâteau à Dalaran, mais j'ai trop peur que tu postillonnes sur la viande pour te laisser sans supervision."
Le cuistot hausse les épaules et reprend son débitage en marmonnant quelque chose d'incompréhensible à l'un de ses commis. On n'entend plus que le fracas d'os, de métal et de bois dans la petite boutique. L'ambiance est vraiment fort peu agréable à présent. Je me demande ce qui vaut à cet orc de recevoir un pareil accueil. J'ignore si c'est parce qu'il est Rochenoire, ou simplement parce qu'il a un profil familier, mais il ne m'a pas l'air d'être un mauvais bougre. Il a un regard franc...Et même plutôt doux, en fait, contrairement à certains de ses compères par ici. Du coup, je me décide à sortir de mon propre silence passif pour entamer quelque peu la conversation.
"Un gâteau...hmm, vous fêtez quelque chose ?"
Lors des premières secondes de face-à-face, l'orc tente de masquer une certaine surprise, voire même de la curiosité. Il rajuste de petites pièces de verre et d'acier posées sur le bout de son nez. Finalement, il acquiesce et me répond avec un large sourire :
" Hmm, non, pas spécialement ! Seulement, je pense que cela lui fera du bien à mon gamin d'avoir un repas qui change un peu de l'ordinaire.
- Oh, vous avez un fils ? Vu toute la viande que vous venez de commander pour votre dîner, il doit être bien robuste, comme tout Rochenoire qui se respecte !
- Plutôt oui, et à cet âge, on a encore du muscle à prendre.
- Ah, je dis la même chose au mien !"
L'orc éclate d'un rire franc, avant de se taper le ventre. Il me répond alors en rochenoire, pour mon plus grand plaisir :
"Oui, parce qu'aux nôtres, d'âge, c'est plus trop du muscle que l'on prend, pas vrai ?
- À qui le dites-vous !" Acquiesce-je.
*
Après de longues minutes de néant, Ji'sh est enfin parvenu à quitter son nichoir. Il s'affranchit des marches d'escaliers, par un jeu de pirouettes et de sauts périlleux. Il s'attendait à entendre une remarque du vieux Rochenoire vociférer qu'il allait un jour se rompre le cou avec de pareilles acrobaties, mais il n'y a que le silence pour l'accueillir. Il semblerait que ce dernier ne soit pas encore rentré. Cela doit faire pourtant un long moment qu'il s'est absenté, car le café qu'il a gentiment laissé sur la table est presque froid.
" Il a probablement rencontré un pote, genre le tauren, ou cet autre Rochenoire, voire Eitrigg..."
Sans guère plus s'inquiéter, Ji'sh récupère la tasse pour commencer à la siroter doucement. Très doucement, même, tandis que les minutes s'allongent étrangement dans son esprit.
" Thrall aussi, il lui tient un peu la jambe, en ce moment, je suis sûr !"
Tout est calme. Mais, même dehors. Contrairement à tout à l'heure, il n'y a plus un bruit dans la rue. En dépit de l'aversion qu'il a d'ordinaire pour les commérages de ruelles, Ji'sh attarde son oreille vers les murmures filtrant au niveau de la fenêtre du salon. Il perçoit deux mots qui commencent à l'inquiéter sérieusement :
" Émeute... Bombe"
Son cœur commence à battre tandis que ses pensées convergent vers une seule personne avec une terreur grandissante. Et tandis que sa poitrine commençait tout juste à s'animer d'un tressautement incontrôlable, une explosion vient lui déchirer les tympans en perforant en même temps le silence des alentours. La détonation n'a pas été violente, mais d'effroi, Ji'sh a tout de même lâché la tasse au sol. Sans se préoccuper davantage du désordre des lieux, piétinant les éclats de céramique, il se précipite à l'extérieur.
*
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Sur les Chemins des Terres d'Ombres - I
Fanfic!! Avertissement !! Certaines thématiques abordées requièrent de la maturité. Plusieurs passages pourraient décrire de la violence physique ou morale. Homophobes, orco-homophobes, passez votre chemin, aussi ! Résumé: Depuis la fin de la Quatrième G...