Chapitre 1 : Milo

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Partie 1 : Qui étais-tu ? *

* Le roman se divise en trois parties. 


   Du bruit au rez-de-chaussée me réveille en sursaut. Tous mes muscles se crispent instantanément. En alerte dans mon lit, je n'ose plus bouger et retiens ma respiration de peur d'attirer l'attention. Mes mains deviennent moites et mon cœur s'emballe. Je n'aurais pas dû regarder ce film d'horreur avant de me coucher, surtout un soir de pleine lune, mais j'aime les grands frissons, et Halloween approche. C'est peut-être Matt. Matt, ou un voleur, ou Frankenstein en personne. Entre les trois, je préférerais encore Frankenstein. Au moins, lui, il est cool. Pas comme mon frère qui a pris la grosse tête depuis que nous vivons seuls. Dire qu'il y a quelques mois, grand-mère nous préparait de bons petits plats et veillait à ce que nous ne manquions de rien. Cette grande maison qui grince à la moindre rafale me semble bien vide sans elle. Je n'arrive pas à croire qu'ils nous quittent les uns après les autres. D'abord, nos parents, puis elle !

   Je présume qu'on peut dire qu'on n'a pas eu beaucoup de chance dans la vie jusqu'ici. J'avais huit ans et Matt douze quand des tarés masqués ont ouvert le feu dans une banque. Ils ont abattu mon père de sang-froid alors qu'il tentait de rejoindre ma mère. Elle criait si fort qu'ils l'ont fait taire d'une balle entre les deux yeux. C'est ce que j'ai lu quelques jours plus tard dans un article de journal. Le karma, le hasard, la fatalité, la mauvaise fortune ; peu importe le nom qu'on lui donne, le résultat est le même : deux orphelins.

   Grand-mère a fait du mieux qu'elle a pu, malheureusement, elle a perdu la bataille contre le cancer, comme des millions de gens avant elle. Nous lui avons dit adieu après les fêtes. Elle venait à peine d'être enterrée que les services sociaux ont débarqué chez nous. Matt avait atteint la majorité, il a donc signé un tas de paperasses afin de les renvoyer le plus vite possible. Depuis, la loi le considère comme mon tuteur légal. Au début, je m'amusais à l'appeler « papa », mais ça m'a vite lassée, et puis Matt n'est pas très commode. S'occuper de sa petite sœur de dix-sept ans demande beaucoup de patience et de compréhension, des mots qui ne font pas partie de son vocabulaire.

   J'aimerais pouvoir affirmer que je le déteste, mais quand la peur serre mon cœur, comme maintenant, je ne désire rien d'autre que de me faufiler dans sa chambre pour me jeter dans ses bras. Matt séchait toujours mes larmes, autrefois. Il me réconfortait lors d'un orage, réparait mon vélo, pansait mes blessures ou m'accompagnait à l'école. Il veillait sur moi quoi qu'il arrive. C'était mon grand frère. Et puis un jour, il a arrêté de se soucier de moi pour réparer des voitures dans un garage miteux. Pire encore, il s'est mis à disparaître toutes les nuits, comme si les nanas du quartier avaient plus à offrir que moi. Bien sûr qu'elles ont plus à offrir d'un point de vue purement physique, mais j'aurais apprécié un peu plus de reconnaissance. Je ne suis pas sans m'inquiéter quand il sort et ne revient qu'à 4 h ou 5 h du matin, couvert de boue et puant le chien mouillé. Est-ce que ça lui arrive de dormir, de temps en temps ? Pendant des années, j'ai cru qu'il se droguait et revendait de la marchandise pour payer les factures. J'ai fini par abandonner mes investigations. Maintenant, je m'en fiche pas mal de ce qu'il fabrique dehors. Sauf ce soir, où mon frère m'aurait été bien utile. Jamais là quand il faut celui-là !

— Matt ? je l'appelle d'une voix fébrile. C'est toi ?

Un gémissement me répond en écho et me glace le sang. J'ai des sueurs froides. Mes dents commencent à claquer. Je remonte la couette jusqu'à mon nez, à croire que cette dernière possède une force surnaturelle qui repousse les vilains.

   La porte de la chambre s'ouvre en grinçant, je ferme les yeux et me mords la lèvre pour ne pas crier. Une respiration rauque qui s'apparente davantage à des grognements retentit dans la pièce. Je perçois une présence. Quelque chose m'observe en ce moment même. Est-ce qu'une bête sauvage s'apprête à me dévorer ? Je songe aux biscuits restés dans mon sac à dos. Je pourrais l'amadouer. Si ça se trouve, elle aime les cookies.

Un Froid de Loup [ Édité chez Alter Real ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant