Lucianne Aquarthy
(18)
Si on regarde bien, elle porte un petit collier. En été, c'est un soleil. En hiver, une lune. Elle ne porte cependant pas tout le temps un chapeau, mais ça lui va plutôt bien.
Luce Aquarthy
— Luce, tu as lu ma thèse durant le vol ?
Ma mère a enroulé son sac autour de son épaule, elle est perchée sur ses talons aiguilles. Alors qu'on vient de passer dix heures dans un avion.
— Oui, oui. Je vais devoir la relire, parce que ça a du mal à rentrer. Mais ça va le faire.
En réalité, non non. Ma mère m'a forcée à prendre toute une pile de livre juridiques. Et elle s'attend à ce que je les connaisse parfaitement à la fin de notre mois de vacances.
Ce qui n'est pas certain d'arriver, étant donné que j'ai ma propre pile de livres à lire. Ils sont bien cachés en dessous des autres et aucun ne parle de droit.
— Ta sœur a compris en une fois, elle, intervient mon père.
Je baisse les yeux au sol. Les couloirs de l'avion sont sales et on nous presse pour sortir.
— J'ai essayé, au moins, je marmonne.
Mais ils ne m'entendent pas. Ou alors ils m'ignorent, mais ça revient au même. Deux regards froids et quelques tapes dans le dos pour que j'avance plus vite.
— On appellera Vivi. Elle saura te conseiller.
— La plus part du temps, c'est une question de méthode.
Vivi-Anne, ma sœur, est elle une brillante étudiante en dernière année de droit. Elle est le sourire de mes parents et le modèle auquel ils me comparent sans cesse. Vivi-Anne est passionnée et douée en droit. Moi, ça ne m'intéresse pas, je fais le minimum.
Moi, je ne suis que celle qui marche dans son ombre et qu'on ne regarde pas. Ils me voient, mais préfèrent m'ignorer.
— Et c'est impossible de faire ça après notre séjour ?
Ma mère me pousse plus fort pour que je sorte de l'avion. La rampe est petite et l'aéroport minuscule. C'est une destination peu prisée, toute neuve dans le tourisme.
— On verra pour ces histoires d'incompréhension plus tard, on va commencer par s'installer, nous commande mon père.
J'ai envie de lui dire que je ne l'ai juste pas lue, cette fichue thèse. Et que je n'en ai aucune envie, contrairement à ma sœur.
Mais je me résigne à baisser la tête.
Il y a du vent qui agite mes cheveux. Ici, tout semble doux: la brise, d'abord. Et le soleil qui nous caresse la peau. Bien que nous soyons en plein été, la chaleur n'est pas étouffante.
Un van nous attend à la sortie de l'aéroport.
— Superbe, juste à l'heure! Le chauffeur a l'air réellement motivé.
Il range nos valises dans le coffre du van et nous ouvre la porte avec un sourire.
— Tout s'est bien passé, pour le vol ?
Alors qu'il démarre la voiture, mes parents s'occupent d'entretenir la conversation avec lui, trop contents de pouvoir parler avec un local. Il nous conduit hors de l'aéroport et commence à s'enfoncer dans des routes boisées. Le soleil et les feuilles font danser les ombres du van.
Il y a mon père qui commence à nous déballer tout son savoir sur la région. Bien qu'il n'y soit jamais allé, il sait parfaitement quels sites sont à visiter et quels sites éviter. Il parle, il parle, et son discours se fond avec le bruit du moteur.
Je préfère découvrir certaines choses par moi même. Alors que nous passons près d'un village, son ton se mélange à celui du chauffeur. Moi, j'observe les ruelles de cette petite ville de Noras.
Il y a du linge aux fenêtres et des bars-terrasses. Des habitants à vélo qui semblent pressés et une place vide. Tout semble étalé sur une colline, puisque nous sommes sans cesse en montée. De partout, les trottoirs sont dallés. C'est une ville très fleurie, très décorée. En son sommet, une église surplombe tout.
— C'est la ville principale de la région, vraiment jolie. Pas trop visitée, encore, j'entends le chauffeur nous dire. Votre résidence de vacances n'est pas très loin, d'ici, après la plaine.
Je regarde la ville disparaître derrière nous. Et puis effectivement, une grande plaine défile à la fenêtre. Puis un bois, et enfin le portail de notre résidence de vacances.
Il s'agit d'un grand terrain où nous sommes sensés vivre durant tout un mois. Deux autres familles vivront avec nous, et nous ne les connaissons pas. Le but, c'est justement de faire des rencontres. De changer un peu de vie, le temps de quelques semaines.
À la fin de ce séjour, nous rentrerons chez nous dans ce même van, et prendrons le même avion. Et là, je serais celle qu'ils veulent que je soit, et j'apprendrais des choses qui ne me plaisent pas.
Pour faire court, j'ai un mois pour profiter, avant que ma vie ne devienne leur vie, celle qu'ils veulent refléter en moi. Après, ce sera fini.
Alors que nous passons le portail de la résidence de vacances, ma mère m'ordonne de me préparer à sortir. Son ton est froid, je crois qu'ils ont compris que je ne les écoutait pas depuis un moment. Je crois qu'en fait, ça fait un bail que tout est terminé.

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Bèl Lavi
RomanceAu bord d'une falaise et de la mer, trois maisons sont dressées. C'est une résidence de vacances où se dirigent chaque année un groupe différent de touristes. Le temps d'un mois, ils apprennent à se connaître. Cette année, c'est au tour de Luce, G...