Chapitre 3

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- Hé, Joe !

Je me réveillai en sursaut à l'entendre de mon nom, un Shadow dont le front dégoulinait de sueur devant moi. Son maquillage s'effaçait peu à peu, laissant apparaître sa peau mate.

- Ça va ?

- Oui. J'imagine que j'ai dû m'assoupir à cause de la pression retombée, l'informai-je en me frottant les yeux grâce à mon pouce et mon index.

- Je viens de ramener Miya chez lui et j'ai prévenu Langa et Reki que Cherry avait été pris en charge.

- Merci beaucoup.

Je basculai la tête en arrière, avalant difficilement ma salive à cause de l'anxiété que j'abritais. Comment allait Kaoru ? Avait-il des problèmes liés au choc ? Avait-il passé beaucoup d'examens depuis que nous étions arrivés ? Toutes ces questions se bousculaient dans mon esprit, m'en conférant un mal de tête éprouvant.

- Dis, Shadow, tu penses qu'on peut le voir ou il est encore trop tôt ?

Celui que je questionnai sembla hésiter un instant avant de répondre. Il se gratta la nuque, détourna le regard, puis chuchota :

- En fait, je viens de sortir de sa chambre, mais je voulais que tu te calmes d'abord, donc je ne t'ai pas prévenu directement.

J'écarquillai les yeux, assimilant mot par mot le discours de Shadow.

- Donc je peux aller le voir ?! lui demandai-je en sautant de mon siège, attirant les regards des personnes de garde sur nous.

Il hocha la tête en signe d'approbation, m'indiqua le numéro de la chambre, puis je le remerciai et courus jusqu'à lui.

Devant la porte, j'eus la sensation désagréable que mes jambes se transformaient en coton, et que je ne tarderais à m'écrouler. Cependant, rester fort pour lui, c'est ce que je devais faire, coûte que coûte.

Je toquai doucement, sans réponse, mais décidai tout de même d'entrer dans la suite. Kaoru se trouvait dans le lit, les draps le couvrant des pieds au cou. Ses bras étaient blancs de bandages, seules ses mains étaient perceptibles. Un bandeau surmontait son front, soulevant quelques mèches rebelles qui tombaient habituellement devant ses yeux. Ceux-ci étaient clos, tandis que ses fines lèvres laissaient passer l'air que son nez ne pouvait inspirer en raison du choc.

Je m'installai sur la chaise à ses côtés, et le contemplai, ses cils recourbés ne m'avaient jamais paru aussi longs, la peau de ses joues avait l'air aussi douce que celle de ses bras, sa mâchoire allongée paraissait encore plus fine à présent que je m'y attardais.

- Kaoru...

J'effleurai sa joue de mes doigts épais, incapable de résister à cette attirance qui me liait à lui. Ne pas l'entendre me traiter de gorille me frustrait. Il faut croire que j'avais commencé à prendre ce surnom pour une marque d'affection.

J'attrapai sa main dont le bras était le moins amoché. Elle était froide, ses longs doigts se mêlaient aux miens, mon pouce caressait son dos, effectuant de petits mouvements circulaires. C'était la première fois que je la tenais, et je ne voulais la lâcher. Combien de fois avais-je tendu le bras vers lui dans l'espoir de l'attraper, mais m'avait-elle échappé ? Si proche de moi, il se trouvait à présent, l'imaginer s'éloigner n'était plus un jeu d'enfant.

- Réveille-toi, s'il te plaît.

Je m'avachis sur le bord du lit, mes cheveux chatouillant son bras, lui transmettant la chaleur qui s'évaporait de son corps. Ses blessures étaient-elles superficielles, et je ne m'inquiétais pour rien ? Je n'en avais que faire, il était alité. Lui avais-je un jour raconté avec quelle force j'espérais qu'il me remarque ? Les souvenirs avaient disparu, je ne voyais que les machines reliées à Kaoru, dont le bruit me rendait fou.

- Eh...

Ma tête fut écrasée, par le poids de mes émotions je croyais, mais ce poids vint ébouriffer ma crinière. Je relevai les yeux, et ils croisèrent immédiatement ceux de Kaoru. Ils étaient seulement entr'ouverts, comme s'il émergeait d'une merveilleuse nuit de sommeil. Je pris son visage entre mes mains, et collai mon front contre le sien. Il ne disait rien. La fatigue l'empêchait sans doute de prononcer deux mots à la suite.

- Si tu savais à quel point j'ai eu peur Kaoru.

Les yeux clos, je cherchais à deviner quelle expression il arborait. Réprimait-il un sourire ? Les larmes perlaient-elles ? Me communiquait-il une moue pour que je m'éloigne de lui ?

- Kojiro, murmura-t-il, d'un souffle épuisé.

- Kaoru, ne dis rien, repose-toi.

Je me détachai de lui, ouvris les yeux, et remarquai les siens fermés. Il paraissait étrangement apaisé. Ses lèvres, rosées par le sang, semblaient avoir doublé de volume. Je secouai la tête, chassant cette envie de les embrasser, puis me rassis sur le siège inconfortable près de lui, en prenant soin de rattraper sa main. Encore une fois, il ne dit rien, m'en laissant perplexe.

Je n'entendais même plus les signaux douloureux à ma droite, focalisé sur la respiration de Kaoru. Sa poitrine se soulevait doucement, je souhaitais follement poser ma main sur elle, y coller mon oreille, être bercé par les battements réguliers de son cœur.

- Kojiro...Kojiro, tu es là n'est-ce pas ?

Je resserrai l'emprise autour de ses doigts entrelacés aux miens. Je n'étais jamais parti, Kaoru avait toujours été mon repère au milieu de la foule, la lumière qui éclairait mon chemin, qui m'appelait lorsque je me dirigeais vers l'obscurité, je ne pouvais que rester là.

- Oui, Kaoru. Je suis là, lui affirmai-je en observant ses yeux éternellement clos.

- Pourquoi cela n'aurait-il pas pu être toi ?

Une larme coula le long de sa joue, et s'écrasa sur l'oreiller. Ma main se rua sur cette dernière pour la sécher. Mon cœur se brisait. Les larmes de Kaoru, nettoyant les nombreuses minuscules plaies sur leur chemin.

- Eh, pourquoi tu pleures ?

Ses yeux s'ouvrirent enfin, rouges des picotements de ses larmes salées, et il les planta dans les miens lorsqu'il tourna la tête vers moi.

- Je les ai gardées jusqu'aujourd'hui. Ce n'est pas ce que tu m'avais fait promettre ?

Il l'avait dit. Je ne parvenais pas à le réaliser. Il s'en souvenait. Mes paroles avaient un jour compté.

Je me levai, ma main ancrée à la sienne, et recollai mon front contre le sien. Aucun de nous ne fermait les yeux cette-fois.

- Je pensais que ça n'arriverait jamais.

- Si tu savais à quel point j'aurais aimé qu'elles te soient destinées cette nuit-là.

Mes lèvres se posèrent d'elles-mêmes sur celles de Kaoru. Mon cœur tentait désespérément de s'accrocher à celui de Kaoru, m'en attirer à ne plus pouvoir laisser l'air passer, être dans l'incapacité de nous séparer. Il allait enfin pouvoir battre au même rythme que les fleurs de cerisier, tombant à l'arrivée de l'automne.

Save your tears for another dayWhere stories live. Discover now