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Peu de temps après, il se leva et repartit vers le métro, presque en courant.
Il descendit l’escalier.
Entra dans la rame.
Il jeta un rapide coup d’œil au plan : quatre stations.
Quatre stations interminables… Les minutes semblaient s’allonger inlassablement. Enfin, les portes s’ouvrirent et Julien gravit quatre à quatre les marches qui le rapprochaient de la lumière. Il surgit finalement sur la place du Capitole. Alors… il oublia pourquoi il était là. C’est curieux comme le cœur nous pousse à aller quelque part sans que le cerveau ne suive ou même ne comprenne ce qu’il se passe. Il était là, devant la bouche de la station de métro et il attendait… Il attendait peut être de se souvenir pourquoi il était là ou bien, il attendait quelqu’un. Quelqu’un qui, malheureusement, était inaccessible.

Julien laissa son regard dériver le long de la large place. C’était un jour de marché, des stands se dressaient sur toute la place, vendant des lunettes, des faux sacs Gucci ou autres babioles bon marché. Une foule conséquente slalomait entre les boutiques improvisées ou paressait en se régalant d’un bon plat aux terrasses des cafés. L’adolescent fit quelques pas entre les stands. Il s’arrêta devant une boutique de livres et en prit un dans ses mains. La couverture était en cuir. Les pages jaunies, un peu cornées sentaient le moisi. Julien sourit. Daphné adorait lire. Il la revoyait, toujours avec un livre à la main ou dans son sac à dos. Oui, elle adorait ça, et, à ce moment précis, il regretta de ne pas aimer la lecture. Peut-être que grâce à elle, il aurait été plus proche de sa cousine? Le livre, serré contre lui, il se dirigeait vers le commerçant pour payer quand une personne le bouscula, puis une deuxième, et une troisième. Un mouvement de foule l’entraîna et il lâcha l’ouvrage qui retomba avec un bruit mat sur le haut de la pile où il était posé auparavant. Comme si personne n’y avait jamais touché. Comme si tous les actes de Julien avaient été effacés. Alors, la colère l’envahit comme un animal lui sautant à la gorge. Pourquoi ? C’était injuste ! Sa Daphné ! Et toutes ces personnes qui continuaient de vivre comme si de rien n’était. Ces personnes qui continuaient de parler, marcher, danser, rire, sourire alors que lui avait l’impression que sa vie tombait en lambeaux se déposant doucement à ses pieds.

«Nous sommes comme des feux d’artifices, pensa Julien. Nous sommes là pour si peu de temps... Coincés dans l’anonymat le plus complet de notre naissance à notre mort même et ce, même pour nos proches qui ne nous connaissent jamais réellement. Toute cette vie n’est qu’une comédie, un défilé de masques que la société nous oblige à porter. Et quand le masque pèse trop lourd, est-ce qu’on finit comme Daphné ? Épuisé, à force se battre ? »

Il réussit à s’extirper des badauds et rejoignit la terrasse du Café des Arcades en chancelant. Il s’écroula dans un fauteuil en osier et essuya les larmes amères qui commençaient à couler sur ses joues. Un des frères gérant le café et que la mère de Julien connaissait très bien lui demanda :

- Ça va petit ?
- Oui merci monsieur Alouche. Je… Une mauvaise nouvelle m’est tombée dessus ce matin.
- Oh, Je vois. Et  bien… peut être que tu ne devrais pas être ici alors ? Pourquoi tu n’es pas resté en famille ?
- J’avais besoin de marcher pour évacuer… la peine ou la douleur, je ne sais pas. L’ambiance ne doit pas être terrible à la maison.
- Aller je t’apporte une coupe de glace, tu ne l’as pas volé. C’est la maison qui offre.
-Merci, répondit-il avec un petit sourire
Monsieur Alouche lui pressa l’épaule dans ce qui devait être un mouvement de soutien et de compassion et partit vers l’intérieur du café. En se remémorant la discussion avec lui Julien se fit la réflexion qu’il n’avait même pas prononcé le mot « décès ». Et pourtant le directeur de l’établissement avait de suite compris et sa première réaction avait été de parler de famille, de réconfort.

« C’est curieux tout de même de voir à quel point le mot « mort » fait peur. On en vient presque à le considérer comme un gros mot, un tabou, se dit Julien. Je n’ai, je crois, jamais entendu ma famille dire d’un grand-père, d’un oncle ou une autre personne chère « il est mort » mais plutôt « il est parti », « il nous a quitté ». C’est ridicule. Employer des euphémismes ne fera pas revenir la personne et n’atténuera pas le chagrin. Tiens… encore un masque que nous impose la société. Ou que l’on s’impose nous-mêmes » remarqua l’adolescent en observant sa glace fondre.

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