Il commençait à se faire tard. Julien reprit à nouveau le métro, cette fois-ci pour rentrer chez lui. Déjà huit appels manqués de sa mère. Il lui envoya un message pour la rassurer et l’informer qu’il était en chemin. Sa réponse ne se fit pas attendre :
"Dépêche-toi"
Il imaginait très bien la scène. Sa mère assise dans le canapé en train de lire un magazine ou de regarder la télé, son téléphone portable posé à côté d’elle ou sur la table du salon de manière à ce qu’elle puisse y sauter dessus à la moindre sonnerie.
Il prit l’escalator qui le ramena à la surface. Il inspira profondément à la sortie du métro en ayant l’impression de revenir de très loin. Tandis qu’il faisait le tour de la place Wilson, slalomant tant bien que mal au milieu du flot ininterrompu de personnes venant de la rue Alsace-Lorraine après un après-midi à faire les magasins, son attention fut attirée par le manège situé au centre de la place. Il tournait encore… Dans un élan d’insouciance il bifurqua vers celui-ci et paya son ticket auprès de la vieille dame qui le tenait depuis des lustres. Il grimpa immédiatement au premier étage du manège et s’assit sur une balançoire. Le soleil se couchait sur Toulouse et ses rayons dorés s’insinuaient entre les vieux immeubles, réchauffant agréablement le corps de Julien.
Il regrettait quelque peu de ne pas être allé plus tôt au jardin japonais. Il aurait été bien mieux là-bas, à écrire ou simplement méditer plutôt qu’être au Capitole et aux Arènes.
"C’est dommage que nous ayons pris cette habitude d’être triste puis en colère à la perte de quelqu’un, pensa-t-il. Pourquoi ne pas directement se mettre à la place de la personne disparue ? Cela m’étonnerait que celle-ci veuille voir ses proches abattus à sa mort…"
Cependant, un minuscule détail le dérangeait. Il savait qu’il ne reviendrait pas au jardin public avant longtemps et la pivoine aurait sûrement disparu d’ici là… Il ouvrit son carnet pour voir le pétale qu’il avait volé là-bas. Celui-ci était collé sur une page, en-dessous d’une unique phrase :
"Tu n’as pas besoin d’être près de moi pour me parler"
L’adolescent ouvrit de grands yeux et referma brusquement son cahier
"Daphné"
Il garda le silence pendant un moment, à la fois choqué et effrayé. Il ne se souvenait pas d’avoir écrit cette phrase. Cependant, sans trop savoir pourquoi, il parla :
- Tu sais Daphné, j’ai été triste en apprenant ta mort. Et puis j’ai été en colère. Très en colère. Je n’arrêtais pas de me dire que tu n’avais pas le droit de me laisser, de baisser les bras face à des personnes aussi idiotes qu’aigries. Je me demandais comment ton chat allait survivre sans tes câlins, comment les gaufres au sucre de tante Julia retrouveraient leur goût sans toi pour les dévorer, comment allait se passer nos traditionnelles vacances dans le Lubéron aussi. J’en suis même venu à crier mentalement sur une entité, un Dieu, n’importe qui pour leur dire qu’ils avaient dû se tromper au tirage au sort là-haut. Mais finalement je comprends. Tu souffrais. Elles avaient réussi à t’enfermer dans une cage que tu ne supportais plus. Je comprends la douleur que tu as dû ressentir quand tu t’es aperçue que tu étais acculée, obligée de choisir entre la souffrance et la mort. Mais si tu penses que tu as fait le bon choix alors moi aussi. Si maintenant tu es libre et heureuse alors je le suis pour toi. Tu vas me manquer cousine mais je vais te garder près de moi, dans mon cœur et dans ma tête. Je continuerai à te défendre et à t’aimer même si tu n’es plus tout à fait là. Et je continuerai à te parler parce que nos conversations sont trop drôles pour disparaître en un claquement de doigts. Oui, tu vas me manquer, mais je suis heureux que tu te sentes enfin bien.
A la fin de sa tirade, les yeux de Julien se mirent à briller non pas de larmes mais de joie. Il rouvrit timidement le carnet. La phrase, de même que le pétale avaient disparu.Il reprit son stylo et tandis que le manège continuait de tourner, changeant à chaque tour sa vision de la place Wilson, il écrivit simplement :
"La vie est un cercle, dont la mort n'est que la partie cachée".
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La Lumière
Kısa Hikaye"Elle est morte". Tels sont les mots qui résonnent aux oreilles de Julien. Sa cousine est morte et elle ne reviendra pas. Tristesse, colère, dégoût, regret. Tout se mélange dans sa tête. Avec l'espoir de sécher ses larmes, il décide de sortir de pro...