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Sans trop savoir comment, Julien se retrouva devant l’entrée du jardin Compans-Caffarelli de sa ville. Il faisait chaud et l’herbe était couverte de nappes et de draps sur lesquelles les habitants de la Ville Rose se reposaient au soleil. Des enfants courraient un peu partout en riant. Bizarrement, Julien ne se sentait pas oppressé comme au Capitole. Il se laissa aller au milieu des arbres et des allées parcourues par les bancs la plupart du temps occupés. Là, à l’ombre des peupliers, il se sentait en sécurité. Il marchait ainsi, un peu au hasard laissant son esprit s’apaiser petit à petit. Il arriva sur l’aire de jeu du jardin et un torrent de cris, de couleurs, d’innocence et de joie de vivre l‘assaillit. Des parents inquiets ou relaxés étaient assis aux alentours des attractions et discutaient entre eux tout en surveillant du coin de l’œil leur progéniture. Celle-ci  gambadait, grimpait, sautait, faisait les yeux doux pour avoir une sucrerie de la buvette… Julien sourit. Il vérifia qu’il ne connaissait personne dans les environs puis s’élança vers les jeux. Il emprunta le mur d’escalade pour se retrouver sur le parcours en hauteur et redescendre par un des toboggans. Il recommença plusieurs fois, profitant de la sensation délicieuse que cette activité lui procurait. Quand il en eut assez, il s’assit sur une des rares balançoires libres et observa autour de lui. Il avait tant de souvenirs qui lui revenaient en tête. Toute son enfance ou presque tenait dans cette aire de jeu. Une petite fille aux boucles blondes lui tira la manche :

- Est-ce que ze peux faire de la balanzoire ? demanda-t-elle avec un adorable zozotement

Julien lui laissa sa place et se remit à marcher. Les chemins tortueux du parc étaient tels qu’il était facile de s’y perdre. Au bout d’un moment, les haies et les feuilles mortes qui bordaient les allées laissèrent la place à des bambous et des bonzaïs géants. Le sourire ne quittait plus les lèvres de Julien. Il savait où il allait. Il tourna à droite et passa une grille ouverte sans même jeter un regard au panneau qui annonçait « Jardin Japonais Pierre Baudis, lieu public »

Il y était. Il avait trouvé le lieu où tous ses soucis s’envolaient. Un lieu reposant. Contrairement au jardin public, le jardin japonais était presque vide. Seul deux vigiles, postés sur la terrasse de la pagode surveillaient que personne ne dégrade les lieux.

Une fois assis sur le bois chaud et sec de la terrasse, les pieds pendant vers l’eau sans pour autant la toucher, Julien soupira et son diaphragme se relâcha. Il ne se rappelait pas avoir retenu son souffle mais pourtant c‘était comme si cet endroit seul lui permettait de réellement respirer. Il promena son regard le long du bassin où des carpes sortaient parfois la tête de l’eau en quête de nourriture puis il leva les yeux vers les rangées d’arbustes exotiques qui bordaient l’étang. Dans son dos, il devinait le jardin zen, une esplanade de graviers ratissés avec soin formant des arabesques et de drôles de dessins. Quelques promeneurs traversaient le petit pont rouge et ouvragé enjambant le cours d’eau. Julien ferma les yeux.

Daphné…

Il s’attendait à sentir revenir la tristesse et la colère mais elles semblaient estompées dans son cœur comme dans son esprit. A la place il n’y avait que de l’apaisement.

« Et si j’essayais… » Se demanda l’adolescent.

 Il sortit un petit carnet de son sac à dos et déboucha son stylo. La mine suspendue au-dessus du papier, il en regarda les lignes qui dansaient devant ses yeux. Il hésita puis il posa finalement le crayon sur la première page. Un barrage céda en lui. Avec pour seule image en tête, Daphné, il écrivit jusqu’à en avoir mal au poignet :

Je suis soulagé. Je n’ai plus mal. Pourquoi? Peut-être parce que j’y suis. Je me trouve là où tous les problèmes disparaissent comme par magie. Daphné aimait cet endroit plus que tout. Elle me répétait souvent que c’est l’endroit idéal pour écrire des histoires, des haïkus… Alors pour une fois je l’écoute et j’écris. Ça me fait bizarre de parler d’elle au passé alors que pour moi, elle est encore là, près de moi. Est-ce réel ? Est-elle vraiment  morte ?

Je me souviens d’un jour où nous étions assis ici même, côte à côte. Nous parlions de ce qu’il y a après la mort. Pour moi c’était une sorte de paradis personnel, un lieu où moi seul je me sens bien et où je peux vivre pour l’éternité. Pour elle, c’était la réincarnation. Elle m’a expliqué que la vie n’était qu’un cercle qui tournait puis recommençait encore et encore et encore… Pour elle, lorsqu’on mourait, la minute d’après on renaissait. Pas forcément en tant qu’humain mais en tant qu’animal, fleur, plante, insecte, bactérie ou que sais-je. Pour elle… rien n’était jamais fini et c’est pour cela m’avait-elle dit, qu’elle n’avait pas peur de mourir. Je me rappelle de cette phrase: « Le noir ne nous enferme qu’une fraction de seconde avant que la lumière ne pointe à nouveau le bout de son nez. Renseigne toi, c’est ce que disent toutes les personnes qui ont vécu une expérience de mort imminente »

Après ça elle avait fait une blague idiote sur les cimetières et nous avions rigolé ensemble.

Le passé. Pourquoi je parle d’elle au passé ? J’écris pour elle, je pense à elle alors pourquoi faire comme si elle n’existait plus ?

D’ailleurs, et si cette histoire de réincarnation était vraie ? Si c’est le cas, Daphné, tu es peut être avec moi en ce moment même…

Julien referma son carnet qu’il posa à sa droite et ses yeux firent à nouveau le tour du jardin, cherchant cette fois-ci, le moindre indice d’une quelconque présence. Il était seul désormais. Les vigiles avaient fini leur tour de garde ou bien s’étaient tout simplement éclipsés pour aller boire une bière au bar du coin. Il remarqua un bouquet de pivoines qui poussaient au bord de l’eau. Les fleurs préférées de sa cousine. L’été elle en glissait toujours une dans ses cheveux. De peur qu’on ne le prenne pour un fou – ce qui serait justifié – Julien se pencha vers les pivoines et murmura :

 - D’après toi, la réincarnation existe-elle ?

Une légère brise souleva les pétales de l’une des pivoines qui s’ouvrit comme pour approuver. Décidément, le hasard faisait bien les choses. Julien sourit et s’approcha de la pivoine.

- Je peux ?

Cette fois-ci pas de brise mais il choisit d’interpréter cette «réponse» comme un «Oui» silencieux. Il attrapa un pétale du bout des doigts et tira. Il le glissa ensuite dans son carnet en se promettant de toujours le garder avec lui.

Puis il quitta le jardin japonais, laissant derrière lui sa tristesse et sa colère.

La LumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant