[Kyohaba] You're perfect

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Le vent d'été faisait légèrement voleter ses cheveux. Les yeux fermés, il profitait de la douceur de cette soirée. Un petit soupir passa la barrière de ses lèvres. Autour de lui, le silence régnait en maître, seulement perturbé par le chant des oiseaux et celui des cigales. Une lumière crépusculaire caressait doucement son visage paisible. Il était bien. Il n'avait besoin de rien d'autre. Juste le fait d'être là, avec pour seule compagnie la faible lueur des étoiles naissantes, l'apaisait. Il se sentait bien, seul. Après tout, mieux vaut être seul que mal accompagné, pas vrai ?

Combien de temps resta-t-il assis ici ? Il n'en avait aucune idée. Les ténèbres nocturnes l'engloutissaient. Plus aucun son ne résonnait dans l'air, comme si le temps s'était figé autour de ce garçon solitaire, assis sur une balançoire au milieu d'un parc abandonné. Les rires d'enfants avaient depuis longtemps délaissé ce lieu.

Une perle salée roula et s'écrasa au sol. Une seconde emprunta le même chemin que sa jumelle. Bientôt, une cascade vint inonder les graviers aux pieds du jeune homme.

Assez. Il en avait assez. Assez de se cacher, de se haïr, de le regarder de loin sans jamais avoir le courage d'aller lui parler. Assez de pleurer en se regardant dans le miroir. Assez d'appliquer une épaisse couche de fond de teint sur ses cernes et sur les marques couleur ciel qui parsemaient son corps. Assez de ne pas être libre d'aimer. Assez de se taire, et de plaquer une main sur sa bouche pour que personne ne l'entende pleurer chaque soir dans sa chambre. Assez d'aimer une personne qui ne l'aimera jamais en retour. Assez de ne pas correspondre aux normes de cette foutue société. Assez d'être insulté, rabaissé et violenté par les personnes censées lui apporter amour et tendresse. Assez d'être un fardeau pour celui qu'il aimait. Assez d'être le "PD" de service. Assez d'être considéré comme un animal, voire pire, un objet.

Là, dans l'obscurité de la nuit, avec la Lune pour seule témoin, il s'autorisa à se laisser aller. Jamais, au grand jamais, il ne craquait dans un lieu autre que sa chambre. Pourtant, à cet instant, il se sentait en sécurité. Comme si quelqu'un le serrait dans ses bras et le rassurait, lui promettant que tout irait bien, que tout allait s'arranger.

Il n'était pas idiot. Certes, jamais la place de premier de la classe ne lui avait été attribuée, mais il savait parfaitement que rien ne s'arrangerait. Qu'il resterait minable, incapable et immonde toute sa vie durant. Il savait qu'il était condamné à être détestable et détesté.

Les sanglots de plus en plus bruyant du garçon en alertèrent un autre qui ne reconnut tout d'abord pas le bruit pourtant caractéristique qui accompagne les larmes. Il s'approcha à pas de loup, comme s'il faisait face à un animal craintif.  Soudain, il fut frappé par le t-shirt de la personne assise devant lui. Ce numéro, cette couleur...Pas de doute, Yahaba Shigeru était bien là, devant lui, seul sur une balançoire en pleine nuit.

Perplexe, il s'approcha encore un peu plus et posa sa main sur l'épaule de son coéquipier avec une délicatesse qui lui était encore inconnue.

Brusquement, le jeune homme se retourna.

Kyotani Kentaro vit alors le spectacle le plus déchirant qui lui ait été donné de voir dans sa vie.

Le nez carmin, les joues inondées de larmes, les yeux presque éteints, Yahaba Shigeru pleurait.

Il pleurait.

Lui, le jeune homme fort et insensible.

Celui qui le disputait sans cesse à l'entrainement sans craindre sa fureur.

Celui qui s'opposait parfois à la colère d'Iwaizumi-san sans craindre les représailles.

Il pleurait.

Comme possédé par une force extérieure, le jeune blond prit son ami dans ses bras et le serra de toutes ses forces. Jamais il n'avait étreint quelqu'un de cette manière. Il renforça son étreinte lorsque les sanglots de la personne entre ses bras redoublèrent.

Un ange passa. Puis un second. Tous les habitants du firmament auraient pu défiler devant eux si Yahaba n'avait pas relevé la tête.

Il allait parler. Les mots restèrent coincés dans sa gorge, et aucun son ne put passer la barrière de ses lèvres. Celles de son ami en avaient déjà pris possession.

Le baiser qu'ils échangèrent fut sans doute le plus doux et le plus tendre que le monde ait jamais connu. A travers ce bref moment d'amour, chacun transmit tout ce qu'il ressentait pour l'autre.

Le goût salé des larmes et celui plus sucré de l'espoir se mêlaient à cet échange.

L'air leur fit bientôt défaut et ils durent se séparer à contrecœur. Leurs yeux se rencontrèrent, et ils ne parvinrent pas à détacher leur regard.

Les yeux parlent, dit-on, parfois plus que les mots. Le silence régnait toujours sur le petit coin de paradis des enfants. Pourtant, chacun comprenait ce que les yeux de l'autre exprimaient.

Bien qu'il pensait avoir compris, Kyotani attrapa doucement la main de son...ami ? pour le ramener à la réalité. Il voulait entendre de la bouche de Yahaba les raisons de son état actuel. Il vit soudain les ecchymoses qui recouvraient le bras qu'il tenait fermement entre ses doigts. Son regard s'assombrit et une ombre plana sur son visage féroce.

"Qui ?"

Le murmure de Kentaro sonna comme un hurlement dans le silence de mort qui les enveloppait. Shigeru fuyait son regard, tentait de se dégager de la poigne du jeune attaquant. Il avait honte. Honte que son cadet, et celui qu'il aimait, l'ait découvert dans une telle situation. Honte de lui expliquer la raison de ses blessures. Non, il ne pouvait définitivement pas lui dire.

Remarquant le malaise de son aîné, Kentaro tendit lentement la main vers le visage de ce dernier et le ramena à lui. Tendrement, il déposa ses lèvres contre celles de celui qui faisait battre son cœur. Le baiser fut chaste et rapide, mais il rassura le garçon aux cheveux châtains.

"Qui ? chuchota une nouvelle fois l'attaquant blond.

"Mes parents..."

La voix de Yahaba était tellement basse que Kyotani eut de mal à l'entendre. Ou alors tout simplement ne voulait-il pas saisir le sens des paroles qui venaient d'être prononcées. Comment ? Comment peut-on oser lever la main sur un tel ange ? Les mots se bousculaient dans l'esprit de Kyotani. Que devait-il dire ? Comment devait-il le réconforter ?

Les larmes qui brillaient sur les joues de son aîné le stoppèrent dans sa réflexion. Putain, qu'est-ce qu'il était beau. Les gouttes sur ses joues prenaient l'allure de diamants dans le faisceau de lumière lunaire qui les éclairait. Un ange. Un ange tombé du ciel. Voilà ce qu'il était.

"Je suis là, tout ira mieux, je t'en fais la promesse.

-Non...rien ne s'arrangera...je suis condamné, Kyotani, condamné...

-Ne dis pas ça ! Tu vas t'en sortir. Je t'aiderai.

-Tu ne peux pas. Je ne veux pas que tu sacrifies ton temps pour moi.

-Ce n'est pas un sacrifice."

Impossible pour Yahaba de détourner le regard. Peut-être était-ce sa dernière chance de regarder Kentaro d'aussi près, jamais il ne la laisserait filer.

"Je t'aime."

Les mots étaient sortis tous seuls. Les yeux de la personne à l'origine de cette déclaration s'agrandirent tels des soucoupes et ses joues prirent une teinte écarlate.

"Je suis un monstre...marmonna Yahaba."

Kentaro lui releva le menton.

"Non. Tu es parfait."

Le coin des amoureux || recueil d'OS HaikyuuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant